Vivre ensemble après le 11 janvier

Comment Un Esprit de Famille peut contribuer à l’éducation au « vivre ensemble » ? Dans le désir de poursuivre l’esprit du « 11 janvier », une vingtaine de membres d’Un Esprit de Famille se sont retrouvés le 5 février pour y réfléchir avec des pionniers engagés sur ce sujet.

Trois invités, acteurs reconnus de l’éducation au « vivre ensemble » ont apporté leur témoignage : Marine Quenin, fondatrice de l’association Enquête, Samuel Grzybowski, fondateur de Coexisteret Antoine Arjakovsky, fondateur de la formation Agapan.

Marine Quenin
marine_queninJ’ai créé Enquête avec une amie, il y a 5 ans, pour développer des outils de découverte de la laïcité et des faits religieux destinés à la classe d’âge 7-11 ans. Il existe une réticence à aborder le sujet des religions à l’école. Mais on a peur de ce qu’on ne connaît pas et Enquête apprend à aborder ce thème de façon apaisée. L’association propose des ateliers, des outils et des formations aux enseignants. Tous les outils sont développés sous un angle laïc et non confessionnel. Il faut apprendre aux enfants à aborder le fait religieux avec respect.

Nous organisons une quinzaine d’ateliers par an et les retours des enfants, de leurs parents et des enseignants sont très positifs ; l’état d’esprit des enfants change, ils s’approprient la laïcité, ce qui veut dire accepter l’autre. Ils comprennent mieux l’environnement dans lequel ils évoluent.

Samuel Grzybowski
Samuel-GrzybowskiSous l’apparente unité nationale, il existe de grandes diversités mais une diversité est laissée pour compte en France, celle des religions. Coexister rassemble 20 groupes locaux où coexistent jeunes juifs, chrétiens, musulmans et athées. Chaque groupe identifie un besoin social (orphelins, personnes âgées….) sur lequel ses membres vont travailler ensemble. Leur diversité de convictions nourrit leur engagement sur le terrain. Après cette action commune, ces jeunes sont invités à rencontrer d’autres jeunes dans des lycées et les collèges, pour animer des ateliers sur l’un de ces 3 thèmes :

  1. la laïcité et la liberté de conscience (avec l’Observatoire de la laïcité),
  2. l’enseignement du laïc et du fait religieux (avec Marine Quenin),
  3. la lutte contre les préjugés religieux.

Nous promouvons une façon de vivre ensemble sans heurt à motif religieux. L’objectif est de permettre à tous les Français, quelles que soient leurs convictions, de se connaître et se côtoyer.

Coexister est porté par 600 bénévoles : 30 par groupe depuis janvier 2015 (15 auparavant) et 17 volontaires en service civique. Les demandes de sensibilisation venues des lycées ont récemment beaucoup augmenté. Il y a une vraie prise de conscience, un travail de 6 ans qui porte ses fruits et a un vrai potentiel d’impact dans la société.

Antoine Arjakovsky
Antoine-ArjakowskiJ’ai proposé de créer une formation à la culture éthique et religieuse car les enseignants en France n’y sont pas formés. Avec le soutien des dirigeants œcuméniques, j’ai lancé il y a un an Agapan : une formation destinée aux enseignants, qui comprend un volet interactif en elearning et des  stages en présentiel. Nous avons créé une trentaine de modules (histoire du judaïsme, du christianisme, de la libre pensée, éthique…). Nous sommes associés à Coexister pour le module « Vivre ensemble ». 2 parcours sont possibles : un master avec la formation complète ou seulement quelques modules, en fonction des besoins de chacun. Le ministère de l’Education nationale nous a donné son soutien.

Nous abordons aussi la question de l’environnement : le rapport à la création est expliqué par les grandes religions et c’est un angle important pour protéger l’environnement.

Nos outils pédagogiques peuvent être utilisés par les enseignants avec souplesse. Nous rencontrons beaucoup d’enthousiasme mais avons peu de moyens ! 150 enseignants ont suivi la formation Agapan cette première année.

Vous démontrez qu’il existe des expériences très concrètes en France. Mais comment changer d’échelle ? Comment toucher des milliers de collégiens, de jeunes, d’enseignants ?
Marine Quenin
Actuellement, nous sommes très sollicités par les villes, les centres sociaux et l’Education nationale. Pour changer d’échelle, il existe pour nous 2 voies :

  1. déployer les ateliers car nous utilisons des outils et des méthodes différents de l’école, qui lui sont complémentaires.
  2. former les enseignants, à la fois en formation initiale et continue. Il faudrait former dans chaque académie des personnes ressources qui proposent des outils très opérationnels aux enseignants. Et il faut développer de nouveaux outils.
Samuel Grzybowski
Samuel : pour nous, trois actions où le changement d’échelle est possible grâce à des moyens supplémentaires : le nombre de groupes, de jeunes sensibilisés et de formations dispensées.

  1. un groupe sur deux abandonne faute de moyens. Les jeunes et les projets sont là mais il faut 1000 euros par an pour faire fonctionner un groupe (repas et allers-retours sur Paris).
  2. il faudrait rémunérer les jeunes qui interviennent dans les lycées, il faut également les former. Beaucoup de jeunes ne peuvent être formés car ils n’ont pas assez de moyens pour des allers-retours sur Paris.
  3. la formation globale proposée toute l’année sur différents thèmes a besoin aussi d’être développée.
Antoine Arjakovsky
Agapan va changer d’échelle cette année car nous avons reçu l’agrément formation continue de l’enseignement catholique, qui accepte de financer la formation des enseignants qui le souhaitent. Mais accroître l’audience demande un appui de communication très important vers les enseignants.

Je crois qu’en France, nous sommes actuellement dans une situation d’urgence pour rendre compatibles les valeurs de liberté et de fraternité.

Existe-t-il une définition commune et simple de la laïcité ?
Marine Quenin
On remarque des lignes de clivage intra partis sur la définition de la laïcité. Il faut arrêter de nier la présence du religieux dans la laïcité, ne pas en parler est explosif.  Mais c’est en train de changer et ce que nous proposons contribue à faire bouger les lignes.
Antoine Arjakovsky
On a identifié la laïcité avec la neutralité et la neutralité avec l’agnosticisme. Or, neutralité veut dire impartialité et indépendance. On a mis un couvercle sur une « marmite » d’aspirations religieuses qui existe depuis la nuit des temps. Aucun pays d’Europe n’est laïc comme la France et la laïcité française n’existe nulle part ailleurs.
Samuel Grzybowski
Samuel : nous discutons avec l’Observatoire de laïcité, constitué de personnes de sensibilités différentes. Nous avons réalisé que le discours laïc en France est complexe mais la loi est simple. Nous avons décidé de nous centrer sur la loi :

  • présentation de l’Eglise et de l’Etat,
  • neutralité de l’Etat,
  • garantie de la liberté de religion et de conscience.

Il est intéressant de savoir qu’au cours des discussions précédant le vote de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905, l’objectif d’Emile Combes était d’éradiquer les religions et celui d’Aristide Briand était de les accepter, avec l’égalité de toutes les communautés.

La religion ne fait pas seulement partie de la sphère privée. Mais l’expression de la laïcité est en train de changer car l’optique aujourd’hui est plutôt de garantir l’expression du confessionnel.

Le mécénat des entrepreneurs : un engagement fort et durable

73 % des chefs d’entreprises et cadres dirigeants français sont mécènes à titre personnel : c’est ce que révèle le premier Baromètre du mécénat des entrepreneurs*, publié par Admical, l’organisme qui développe le mécénat en France. Cet engagement se manifeste par des dons d’argent et/ou une implication personnelle auprès d’organismes d’intérêt général, qui profitent des compétences professionnelles des chefs d’entreprise.

 

56 % des entrepreneurs en France ont effectué des dons d’argent au cours des 24 derniers mois et le don annuel moyen par personne s’élève à 900 €.

54% des entrepreneurs interrogés ont réalisé des actions de soutien : conseil, mécénat de compétences, activation de réseau…

37 % des entrepreneurs sont des mécènes mixtes, qui donnent à la fois de l’argent et des compétences.

Au total, 73 % des interviewés ont fait, à titre personnel, des dons d’argent et/ou des actions de soutien au cours des 2 dernières années en faveur d‘organismes ou de projets d’intérêt général. Les chefs d’entreprises et cadres dirigeants, actifs et retraités, des entreprises privées de 10 salariés et plus représentant environ 410 000 personnes en France, le mécénat concerne donc 300 000 chefs d’entreprise.

Leurs domaines privilégiés d’intervention sont l’action sociale, la solidarité internationale, la santé et l’éducation.

Enseignements clés : combiner valeur matérielle et immatérielle du don

© Admical

© Admical

Les entrepreneurs français sont donc très engagés, ils investissent financièrement et s’investissent personnellement, dans la durée. Il existe souvent une forte corrélation entre le mécénat à tire personnel et le mécénat de leur entreprise.

Ils sont des mécènes « professionnels » qui croient en leur utilité sociale :

  • Acteurs et pas seulement financeurs, ils veulent mettre leurs compétences au service de l’intérêt général et apporter tout leur savoir-faire.
  • Si le choix des projets n’est pas très formalisé (réseau, affinités avec le porteur de projet…), le suivi et les évaluations le sont afin de mesurer les résultats. Ils veulent transférer toute leur rigueur professionnelle au projet : activation de réseau, conseils, travail d’influence, participation à des instances de direction. La déduction fiscale, largement utilisée, s’apparente à un calcul intégré à la stratégie d’engagement.
  • Ils sont orientés vers des causes sociales, solidaires et éducatives avec un ancrage local, qui satisfont leur envie de partager et de « rendre à la société ce qu’elle leur a donné ».

« Donner rend heureux » mais l’accent est mis aussi sur la valeur immatérielle (développement humain, compétences, solidarité…) qui enrichit toute l’entreprise. Le mécénat est une force personnelle et professionnelle au service du bien commun.

Quatre entrepreneurs très engagés
Jacqueline Délia-Brémond a créé avec son mari Gérard Brémond la fondation Ensemble
Dont la mission est de soutenir le développement humain durable, en intégrant la protection de environnement. Pourquoi ce nom : Ensemble ? Parce que le lien est essentiel, tous les éléments de la chaîne du vivant sont reliés et les implications de chaque action sont multiples. En 10 ans d’existence, la fondation a distribué 20 millions d’euros à 215 projets. Pour cet anniversaire, elle a décerné son Grand Prix à Rainforest Alliance pour son projet Gestion Durable des Forêts, de l’Agriculture et du Tourisme au Pérou, l’agroforesterie appliquée à la culture du café qui a produit des résultats exceptionnels.
Michel Trintignac est vice-président et trésorier de l’association Andantino, mécène de l’orchestre de Cannes et de la région PACA
Qui réunit 30 entreprises locales mécènes. Ancien expert comptable et commissaire au comptes, notamment d’associations, et passionné de musique, Michel Trintignac a réuni ses deux centres d’intérêt dans son activité de mécénat.
Aranaud de Ménibus a créé en 2009 le fonds de dotation Entreprendre et +
Pour susciter des vocations d’entrepreneurs sociaux et contribuer à les mettre en œuvre. Rêve et réalise est un programme créé avec Unis-cités : des jeunes de 16 à 25 ans sont aidés pour consacrer leur service civique à une initiative d’intérêt général qui leur tient à cœur, susceptible d’avoir un impact social majeur. Du 26 août au 6 septembre 2014, le programme Ticket for Change a emmené 50 jeunes talents de 18 à 30 ans, issus de tous milieux sociaux, pour un « voyage-déclic » inédit, dans 6 villes de France, à la rencontre de 40 pionniers d’exception. L’objectif est de les aider à identifier leur voie d’entrepreneur du changement et les accompagner dans le passage à l’action.
Philippe Charrier a créé la fondation Alain Charrier pour lutter contre l’exclusion des personnes fragilisées par des troubles psychiques.
Cette fondation finance les Clubhouses, lieux d’accueil, d’échanges et d’activités pour ces personnes, qui facilitent leur réinsertion sociale et professionnelle. « On ne peut pas vivre pour se soigner mais on se soigne pour vivre », résume Philippe Charrier. Le premier Clubhouse est ouvert à Paris depuis 2011 et d’autres suivront en province. 30 % des personnes accueillies travaillent, étant parvenues à gérer leur maladie. Une étude est en cours pour démontrer l’efficacité à long terme des Clubhouses et leur apport à la collectivité : retour à l’emploi et forte diminution des prises en charge par l’hôpital.
Pour en savoir plus

L’article de Martine Robert paru dans les Echos 

Le communiqué de presse d’Admical 

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*Étude réalisée par téléphone auprès d’un échantillon représentatif de 300 chefs d’entreprise et cadres dirigeants, actifs et retraités, du 3 au 24 juillet 2014.

Co-construire et suivre les projets

La sélection des projets soutenus par les fondations fait l’objet de toutes les attentions mais le suivi est parfois le maillon faible… Comment créer des liens efficaces et féconds sur le moyen ou long terme entre fondations et associations soutenues ? Comment les financeurs d’un même projet, souvent dispersés, peuvent-ils participer ensemble à sa construction ?

Table ronde Un Esprit de Famille le 16 octobre 2014  
Cet événement a rassemblé deux porteurs de projets et 12 fondations familiales sur le thème de la construction et du suivi des projets.

Du côté des associations : le soutien moral des fondateurs et lien de confiance avec eux est structurant et essentiel
FlorenceRizzoFlorence Rizzo, Bâtisseurs de possibles : cette association agit pour transformer la transmission des savoirs à l’école en France, en mettent l’accent sur la créativité, la confiance, l’esprit d’entreprise et la coopération.

L’association agit :

  • auprès des enfants : une démarche pédagogique spécifique leur permet d’exprimer et réaliser leurs idées pour améliorer leur école, leur quartier et, plus largement, la société ;
  • auprès des acteurs éducatifs pour les soutenir dans le déploiement de ces démarches innovantes : accompagnement par des programmes d’elearning, interventions dans les écoles de formation de maîtres.

Bâtisseurs de possibles est soutenu par le fonds de dotation familial « Un pied devant l’autre », par les fondations familiales Bettencourt-Schuller, Colam initiative, bientôt Araok et Pierre Bellon pour de nouvelles actions.

Florence Rizzo souligne combien est précieux le lien de confiance avec des fondateurs qui ont été créateurs d’entreprise : ils comprennent la prise de risque et les difficultés du lancement de projets. Elle peut partager avec eux les victoires mais aussi les déceptions, en toute transparence.

L’association veut avoir le plus d’impact social possible mais le reporting nécessaire au suivi de projet peut être très consommateur de temps pour une petite structure. C’est pourquoi Bâtisseurs de possibles a créé un partenariat de recherche avec des universités pour évaluer sur 3 ans l’évolution des compétences non scolaires des élèves.

Florence souligne aussi l’importance du réseau des fondateurs qui permet souvent aux associations qu’ils soutiennent de rencontrer la bonne personne au bon moment, d’où un fort coup d’accélérateur.

EtienneVillemainEtienne Villemain, Lazare : cette association crée des lieux de vie où cohabitent des jeunes, des familles et des personnes qui étaient sans logement. Ces dernières viennent de la rue, de foyers d’hébergement collectif ou sont hébergées provisoirement à l’hôtel. Si les personnes sans domicile fixe ont besoin d’un toit, elles ont tout autant besoin de relations humaines. 150 personnes aujourd’hui vivent dans les appartements de Lazare à Paris et en régions.

Etienne Villemin développe Lazare en région, notamment à Nantes où s’ouvre une nouvelle maison qui accueille une trentaine d’habitants. Le budget de rénovation du lieu a été beaucoup plus important que prévu et Etienne souligne combien il a apprécié de partager en toute transparence cette « mauvaise » nouvelle avec les fondations qui le soutiennent et co-construisent le projet : Araok, Financière de l’Echiquier…

Le suivi de projets n’est pas seulement une question de chiffres, il est important de tisser des liens entre les partenaires : les fondations visitent les chantiers ou les lieux de vie qui fonctionnent, s’impliquent dans la réalisation des projets et voient ainsi concrètement leur valeur ajoutée. Lazare n’est pas une structure d’insertion et ne s’évalue donc pas au nombre de personnes de la rue qui retournent au travail : la durée d’hébergement est adaptée aux besoins de chacun.

Du côté des fondations : un suivi empirique et des relations humaines fortes dans la durée
Les fondations soulignent que la co-construction des projets est encore rare : deux fondations ne savent parfois pas qu’elles soutiennent le même projet. Une meilleure coordination permettrait plus d’efficacité. L’un des objectifs d’Un Esprit de Famille est d’œuvrer pour cette coordination entre ses membres, de renforcer les liens entre fondations qui ont les mêmes domaines d’intervention.

Il est difficile de laisser une association après l’avoir soutenue et suivie pendant 2 ou 3 ans : « Nous ne voulons pas mettre les associations sous notre dépendance financière mais ne pouvons les laisser après avoir tissé des liens forts. Nous n’avons pas encore trouvé la solution idéale mais nous les aidons à chercher d’autres structures qui vont les soutenir. » (Fonds de dotation Le Chant des Etoiles).

Le suivi des projets se révèle assez informel ; il se situe au niveau relationnel et peu dans des rapports chiffrés qui sont contraignants pour les fondations comme pour les associations. Les fondateurs demandent aux associations de créer leurs propres outils de suivi, conformes à leur culture.« Nous demandons aux associations de s’engager sur un objectif dans le temps qu’elles ont fixé. Par exemple, une entreprise d’insertion s’est engagée à passer de 6 à 15 stagiaires placés en entreprises « classiques ». Au final elle en placé 20 et cela a eu un impact incroyable sur son développement. » (Fondation Financière de l’Echiquier)

Le suivi des projets est compliqué pour de petites fondations qui ne fonctionnent qu’avec de bénévoles et des structures réduites : « 8 membres de la famille sont impliqués dans la fondation, dont une personne salariée à mi-temps. Nous avons l’objectif de financer 15 projets par an et avons donc très peu de temps pour structurer le suivi des projets. » (Fonds de dotation Après Demain)

Chaque fondation est bien sûr soucieuse d’évaluer son impact social et développe des outils de mesure selon ses possibilités : « En 12 ans d’existence, nous avons soutenu environ 165 projets et continuons à avoir des liens avec 80 porteurs de ces projets. Chaque année, ces porteurs nous remettent un rapport de 15 lignes sur l’évolution des projets. Ce suivi nous permet d’évaluer les actions aux résultats mitigés et celles qui ont atteint leur objectif : les 2/3 se sont bien développées, 5 % ont été des échecs et 30% ont stagné. » (Fondation Agir sa vie)

Pour en savoir plus

Bâtisseurs de possibles

Lazare

Sélectionner les projets, table ronde organisée par Un Esprit de Famille en mai 2014

Comment les fondations familiales sélectionnent-elles les projets qu’elles soutiennent ?

Petit déjeuner organisé par Un Esprit de Famille, le 27 mai 2014.

Pourquoi soutenir financièrement tel projet plutôt que tel autre ? Comment formaliser et suivre la décision d’engagement ? Est-ce préférable de soutenir les dépenses d’investissement ou de fonctionnement des associations ? Pour répondre à ces questions que se posent toutes les fondations, Un Esprit de Famille a organisé un débat auquel ont assisté une vingtaine de ses membres. Deux intervenants présentaient leurs approches différentes : Bénédicte Gueugnier, directrice de la Fondation Financière de l’Echiquier, et Didier Berthelemot, fondateur du fonds de dotation Le Chant des Etoiles. La discussion était animée par Sabine Roux de Bézieux, présidente d’Un Esprit de Famille. Résumé des débats.

Combien de projets vous parviennent et par quels canaux ?
D’entreprise et familiale, la Fondation Financière de l’Echiquier a dix ans d’expérience. Réputée et structurée, elle reçoit une centaine de sollicitations par an, dont elle retient une vingtaine. La moitié arrive par son site Internet, l’autre par ses réseaux en relation avec ses missions : insertion professionnelle et éducation. L’Union régionale des entreprises d’insertion ou le Centre Français des Fondations, par exemple, apportent des dossiers. La Fondation soutient des projets ponctuels et non des associations sur le long terme.

Le fonds de dotation le Chant des Etoiles est plus jeune (né en 2010) et va chercher les projets ; il aide aujourd’hui une vingtaine d’associations pendant 2 à 3 ans dans le domaine de l’insertion, de la fin de vie ou du handicap mental. Le choix s’effectue au fil des rencontres.

Quels sont les processus et règles de sélection ?
Bénédicte Guegnier précise qu’un premier filtre élimine 40 % des demandes : celles qui ne correspondent pas aux domaines d’intervention de la Fondation, à sa politique d’investissement « coup de pouce », à l’exigence d’innovation des projets. La Fondation a par exemple financé un Jardin de Cocagne dans la Loire qui a développé une activité de filtrage des eaux usées par les roseaux ; mais elle ne finance pas tous les Jardins de Cocagne.

Pour le Chant des Etoiles, la sélection entre plusieurs projets repose sur l’expertise des associations qui les portent : laquelle est reconnue
par ses pairs ? La décision se fonde sur des ratios essentiels : l’équilibre entre permanents salariés et bénévoles, qui dépend du champ d’activité. Pour l’accueil d’anciens détenus par exemple, la proportion des salariés est importante car il faut des personnes bien formées.

Les critères de sélection sont quantitatifs et qualitatifs. Pour les deux organismes, la qualité des rencontres est essentielle. Bénédicte Gueugnier et Didier Berthelemot parlent du leadership du porteur de projet, de sa personnalité. La Fondation Financière de l’Echiquier soutient Les enfants de la Goutte d‘Or, dans le 18e arrondissement, qui œuvre pour l’épanouissement des enfants et des jeunes du quartier. Lydie Quentin, directrice de l’association, y fait un travail formidable de proximité. Au-delà des critères rationnels, il faut garder l’émotion et l’envie suscitée par une personnalité.

Comprendre comment fonctionne l’association est un facteur de choix important. La Fondation Financière de l’Echiquier rencontre le porteur de projet dans ses propres bureaux et ensuite sur le lieu de son action : il peut exister des décalages… Le Chant des Etoiles cherche à identifier les points d’achoppement. Par exemple, dans une association qui s’occupe de personnes sortant de prison, les bénévoles étaient démotivés parce qu’ils remplissaient des dossiers et ne faisaient plus ce qui les intéressait : l’écoute et l’accueil. Le nœud était de trouver un financement pour les frais de structure et décharger les bénévoles des dossiers.

Les Enfants de Goutte d'Or soutenus par la Fondation Financière de l'Echiquier

Les Enfants de Goutte d’Or soutenus par la Fondation Financière de l’Echiquier

Les comptes des associations : équilibre et indépendance
La Fondation Financière de l’Echiquier accepte que le budget soit légèrement en perte, sans mettre en péril la structure ; sur 120 projets environ financés en 10 ans, seulement 2 ou 3 associations ont mis la clé sous la porte…

Le Chant des Etoiles cherche d’abord à ne pas rendre l’association dépendante de ses dons : qu’elle ne s’écroule quand ils s’arrêtent. Il faut que les associations se remettent régulièrement en question pour vivre indépendantes. Mutualiser les projets entre plusieurs associations qui ont le même objet pour réduire les frais est une solution féconde : le Chant des Etoiles a financé pour un montant de 20 000 € la plaquette Maladie grave, maladie évolutive sur les soins palliatifs, créée avec 9 associations.

Les deux organisations insistent sur la nécessité des cofinancements, afin de ne pas mettre les associations en situation de dépendance vis-à-vis d’un seul donateur.

Comment se finalise la décision et se formalise l’engagement ?
Dans la Fondation Financière de l’Echiquier, la décision finale est prise par un comité d’engagement de 6 personnes qui regroupe des collaborateurs de l’entreprise et des experts externes ; une lettre d’engagement est alors adressée au porteur de projet avec 80% de la subvention sur devis. L’association peut engager tout de suite la dépense pour le projet choisi.

Le fonds de dotation Le Chant des Etoiles se réunit une fois par moi (4 personnes). L’engagement se finalise par écrit avec l’association, soutenue pour 2 ou 3 ans. L’investissement en temps est conséquent pour assurer le suivi des 20 associations aidées.

Questions pour l’avenir : comment améliorer la sélection des projets ?

Le Chant des Etoiles réfléchit à la gestion de la fin d’un soutien, toujours très délicate pour l’association. Didier Berthelemot aimerait que le Fonds rassemble des personnes qui travaillent sur les mêmes thèmes, notamment la fin de vie, sujet difficile. Il voudrait amorcer une recherche sur la mort en prison : une loi autorise à ne pas mourir en prison mais elle n’est jamais appliquée. On touche avec ce sujet au sommet de l’isolement, de la détresse.

Pour la Fondation Financière de l’Echiquier, il est parfois frustrant de ne gérer que des investissements ponctuels, de ne pas suivre les associations sur la durée. La Fondation a développé une action opérationnelle : la Maison Echiquier qui accueille des jeunes filles de milieux défavorisés pour qu’elles puissent suivre des classes prépa. Il existe ainsi un équilibre entre actions distributive et opérationnelle.

Juliette Timsit, du fonds After FACT et Philipe Scelles (Fondation Scelles) concluent sur leur expérience aux Etats-Unis : pour une plus grande efficacité, on y finance maintenant des collectifs d’associations qui interviennent dans les mêmes domaines. Sur le sujet du proxénétisme, la Fondation Scelles approche de grandes fondations américaines pour trouver des dons destinés à des collectifs d’associations de terrain.

Transmettre une fondation familiale

Comment pérenniser une fondation familiale ?
Quels sont les enjeux de la transmission du fondateur à ses descendants ?
Un Esprit de Famille a réuni le 13 février 2014 une trentaine de fondations pour partager expériences et solutions. Synthèse et extraits des débats.

 

Les membres des fondations familiales présents, toutes générations confondues, ont répondu aux questions posées par Sabine Roux de Bézieux, présidente d’Un Esprit de Famille.

Comment transmettre l’œuvre du ou des fondateurs à la génération suivante ?

Les fondations familiales restent souvent marquées par la personnalité forte du fondateur et les orientations qu’il a données. Certains fondateurs anticipent la transmission dès la création et invitent leurs enfants et famille proche à y participer activement. Il peut se produire une période de remise en question à la mort du fondateur, suivie d’une structuration de la fondation qui évolue dans ses objectifs, plus conformes aux désirs et à l’environnement de la génération suivante.
Cette génération peut être nombreuse et dispersée : la fondation devient alors le lien qui rassemble la famille, une vraie « maison de famille » virtuelle. Mais les éloignements géographiques dus à l’internationalisation des parcours professionnels peuvent être une gêne dans le développement de l’esprit de famille autour des fondations.

Que transmet-on dans une fondation puisque l’argent est donné, il n’appartient plus à la famille ?

A travers une fondation, on transmet essentiellement des valeurs : ouverture aux autres et au monde, curiosité intellectuelle, esprit d’entreprise… « Au contact de mon grand-père, j’ai appris des valeurs humaines mais nous n’en parlions pas. On ne transmet que ce que les enfants veulent bien prendre… Les valeurs se transmettent par ″infusion″, sans que ce soit nécessairement explicite. »

Perpétuer la fondation ne doit pas être un devoir mais une joie : « Nous sommes les fondateurs et nos enfants feront ce qu’ils veulent ; nous ne voulons pas leur transmettre un poids mais un esprit, un exemple. »

« Dans notre fondation, tous les projets présentés doivent être parrainés par un membre de la famille car l’engagement est une valeur importante. Notre structure recrée des liens familiaux autour de la philanthropie. »

Est-ce lourd d’être héritier ? A la génération suivante, peut-on être héritier et entrepreneur ?

Le « poids » du fondateur existe : « Il faut se dégager du poids du père et avoir vraiment envie de participer, pouvoir allouer des fonds sur ses propres projets. C’est une éducation à la liberté. » Mais l’héritage est davantage considéré comme une opportunité qu’un fardeau. « On ne doit pas transmettre le poids d’une action mais un outil. Je suis préparé à ce que cette donation soit ouverte, pas seulement à mes héritiers. »

Chantal Delsol, philosophe et romancière, ajoute : « Dans notre culture, les personnes sont libres, les héritiers sont libres. On transmet des possibilités et laisse aux héritiers le choix de transformer le ″ballon″ qui leur est transmis. Les héritiers sont des entrepreneurs car nous sommes dans une culture d’initiative. »

Quand la famille grandit, comment intégrer les conjoints et les différents branches familiales ?

Là encore, la liberté de choix et la diversité des parcours sont respectées : les conjoints peuvent être actifs s’ils le veulent : « Mon mari m’a toujours beaucoup aidée dans la fondation. Il est devenu président du Cercle des amis de la fondation. Les membres de la famille qui participent sont ceux qui en ont envie. »

Dans une famille nombreuse, plusieurs fondations peuvent être créées, qui correspondent à des sensibilités différentes.

Que diriez-vous au fondateur ?
« Bravo et merci de nous avoir inspirés… Mon grand-père m’a transmis le sens de l’engagement, du lien entre les gens. C’est ce qui me constitue et que j’aimerais moi-même transmettre. »

Les participants au débat 

  • Chantal Delsol, philosophe, romancière, éditorialiste, membre de l’Institut. Son dernier ouvrage : Les pierres d’Angle. A quoi tenons-nous ? (éditions du Cerf, décembre 2013).
  • En présence des fondations familiales, fonds de dotation ou associations APPOS, Château de Vaux le Vicomte, FACT, Agir sa Vie, Araok, Cécile Barbier de La Serre, Culture et Diversité, de l’Echiquier, Gresigny, Henriette Anne Doll, Hippocrène, La Ferthé, Lefoulon Delalande, LNC, Lormouet, Mérieux, Riché, Tocqueville, Entreprendre et plus, Le Chant des Etoiles, Frateli, PMI.

 

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