Rendez-vous en terre fraternelle
La fraternité, socle de notre devise républicaine aux côtés de la liberté et de l‘égalité, est plus que jamais essentielle alors que notre rapport à l’Autre est fortement questionné.
Le 4 février, journée internationale de la fraternité humaine, est l’occasion de mettre en lumière les valeurs de solidarité, d’entraide et de partage qui sont au cœur de notre société.
C’est également aujourd’hui que la 7eme édition du Baromètre de la Fraternité, porté par le Labo de la Fraternité (avec l’Ifop), révèle ses résultats sur la perception de la fraternité par les Français.
Entretien fraternel avec avec Tarik Ghezali, cofondateur de La Fabrique du Nous, membre du Labo de la Fraternité, et Katia Mrowiec, fondatrice de la fondation Kaléidoscope.
Pourquoi ce Baromètre de la Fraternité et quelles sont les grandes tendances de cette dernière édition ?
Tarik Ghezali : Une constante d’abord : année après année, les résultats du baromètre projettent deux visions du monde en tension, dans une sorte de course contre la montre entre les deux ! La première, alarmante, nous impose de regarder en face les dérives de notre époque : la défiance croissante, le repli sur soi et les fractures multiples qui traversent notre société. La seconde, porteuse d’espérance, nous pousse à célébrer les solutions déjà à l’œuvre, portées par une multitude d’acteurs engagés et la possibilité de leur déploiement à grande échelle.
Ensuite, chaque année nous proposons aussi une focale sur un thème particulier. Cette année, et dans un contexte de conflictualité renouvelée, le Labo de la Fraternité a décidé d’interroger la fraternité sous un angle nouveau : celui de levier de paix et de réconciliation, cher à la fondation Kaléidoscope, membre très actif du réseau Esprit de Famille.
Les résultats nous invitent à réfléchir à la fois aux obstacles à lever (situation politique, réseaux sociaux, etc.), et aux leviers à activer (l’école, exemplarité des élites, etc.) pour apaiser les tensions et réconcilier une société divisée.
Quel est le chiffre qui vous donne de l’espoir ?
Tarik Ghezali : Un chiffre qui se confirme année après année. Quand on demande aux Français ce qui les empêche d’aller vers l’Autre, ce n’est ni la peur et le manque d’envie qui apparaissent en premier, mais d’abord et avant tout le manque d’occasions (46%) et le manque de temps (28%)… Cela donne de l’espoir !
Il s’agit ainsi d’être volontaristes, pour créer les opportunités et les disponibilités permettant à tous les gisements « dormants » de fraternité de s’exprimer : création de lieux de lien, libération par les employeurs de jours dédiés à l’engagement citoyen, mise en place de rituels collectifs comme les fêtes de villages ou de quartier, etc.
L’Homme est parfois un « loup » pour l’homme mais il peut être aussi un « chou » pour l’Homme ! Si on crée donc les conditions concrètes l’autorisant à exprimer son humanité, à libérer sa chaleur humaine, à se rapprocher de l’Autre.
Et quand les peurs s’effacent, la fraternité s’affirme alors : les membres du Labo de la Fraternité le vivent au quotidien dans leurs actions.
Quel est le chiffre qui vous a étonné ?
Tarik Ghezali : Le baromètre indique que la valeur n°1 à transmettre aux jeunes générations pour construire une société fraternelle est le respect (46%), bien loin devant la tolérance (14%) ou d’autres idées comme l’empathie ou le sens du collectif. Autre chiffre qui va dans le même sens : faire preuve de fraternité, c’est d’abord et avant tout « traiter tous les individus avec respect » (38 % en premier), vs « se montrer chaleureux » ou « aider des personnes en difficulté.
Cela résonne avec une société aujourd’hui sous tension, avec au quotidien une qualité de vie et de relation aux autres qui se dégrade. Derrière cet impératif de respect, nous lisons aussi un fort besoin de reconnaissance des uns envers les autres, au double sens du terme : j’existe car tu me considères et nous existons ensemble car nous sommes redevables les uns aux autres, « reconnaissants » de nos attentions réciproques – et donc engagés à nous entraider et coopérer davantage.
Quel est le chiffre qui vous inquiète ?
Tarik Ghezali : Le niveau de défiance. 77 % des sondés estiment qu’on n’est jamais assez prudent lorsqu’on a affaire aux autres. Cette méfiance, en progression (+ 15 points sur 5 ans), illustre les fractures sociales grandissantes et la nécessité d’agir de manière ambitieuse et collective pour les résorber et favoriser une société de confiance.
Nous sommes un des pays au monde où la défiance est la plus élevée. Les forces de division vont beaucoup plus vite et sont plus puissantes.
Dans ce contexte, un seul chemin possible : l’alliance ! Que toutes celles et ceux qui œuvrent pour une société plus fraternelle s’associent dans l’action, au niveau local et national. Esprit de Famille, par son travail de coopération entre fonds de dotation, familles, et associations montre le chemin !
Comment le Cercle Citoyenneté créé par Un Esprit de Famille, et dont vous êtes une membre active, peut-il contribuer à faire rayonner la fraternité ?
Katia Mrowiec : C’est assez évident pour moi, ne serait-ce qu’en jouant avec les mots mêmes ; entre ces trois-là, Citoyenneté, Fraternité et Philanthropie (via un Esprit de Famille), le lien est tellement logique !
Le Philanthrope – celui qui aime l’humanité – s’engage évidement pour l’autre, son frère, sa sœur et son engagement est dans la cité, dans le monde, pour construire et / ou corriger une société où les liens, le vivre-ensemble a été abimé, fragilisé, où le « faire fraternité » n’est plus, ou amoindri…
Voilà ce qui anime notre Cercle et qui nous fédère et mobilise. Nous avons choisi d’aller à la découverte de ces projets qui mettent « en relation le Je et le Tu pour faire un Nous », des projets qui font toujours plus Société, dans un souci évident d’égalité et de justice.
Le Cercle Citoyenneté a également le souhait de sourcer, d’identifier des initiatives prometteuses, de les rencontrer en participant par exemple à leurs activités puis de les faire connaitre pour mieux les aider dans leur structuration, croissance voire financement.
Très concrètement, en mai 2024, nous avons organisé un petit déjeuner sur le thème de la Fraternité, aux Arches Citoyennes à Paris (lieu joliment symbolique) pour présenter aux membres d’Un Esprit de Famille des pépites comme les associations Coexister, Kif Kif Vivre Ensemble et CitizenCorps. Ce fut un très joli moment de partage.
A quoi pourrait ressembler une France plus fraternelle ?
Katia Mrowiec : Ce serait une société sans PEUR… sans peur de l’autre, de cet alter (autre en latin) qui nous altère, qui nous change forcément quand la rencontre est authentique et sans menace.
J’aime beaucoup la maxime de mon ami Tarik qui dit : « Plus on se rencontre, plus on se mélange, moins on se dérange »
Tarik Ghezali : Une France où chacun ose le premier pas vers l’Autre. Que l’on soit riche ou pauvre, jeune ou vieux, rural ou urbain, dit « valide » ou en situation de handicap, on a tous des ressources à partager, au service des autres : un peu de temps, de compétences, de réseau, de m2, de chaleur humaine… Ces petits gestes fraternels, démultipliés, peuvent provoquer un grand changement.
Et si 100% des Français partageaient 1% de leurs ressources au service du bien commun, à quoi ressemblerait la société ?
Cela ne coûterait pas grand-chose à chacun… Cela ferait à tous beaucoup de bien… Et pourrait changer pas mal de destins !
C’est à notre portée d’autant plus que derrière chaque « 1% » possible, il existe des associations à même d’aider concrètement à passer à l’acter – dont beaucoup d’associations membres du Labo de la Fraternité. Par exemple, pour donner 1% de son temps, vous pouvez vous rapprocher de Benenova, de l’Heure Civique ou d’Entourage !
Allez, tous ensemble, osons cette révolution du « 1% fraternité » !