Edouard Tétreau : réécrire le contrat social français

La société française est de plus en plus parcellisée, le fait majoritaire issu des élections de plus en plus contesté. La crise sanitaire apporte fatigue, désarroi et paupérisation.
Pour sortir de ce contexte délétère, Edouard Tétreau propose la réunion d’Etats généraux en mai 2022, en s’appuyant sur l’histoire de France : depuis le 5è siècle, ils se sont avérés un outil efficace pour sortir de crises majeures.
Que seront les Etats généraux du XXIè siècle ?

Edouard Tréteau

Conférence avec des membres d'Un Esprit de Famille | 12 octobre 2020

Edouard Tétreau est essayiste, éditorialiste, enseignant et conseiller de dirigeants économiques et politiques. Après douze années dans les médias et la finance, il fonde MEDIAFIN en 2004, dont il est aujourd’hui l’associé-gérant.

 Edouard Tétreau est le « chroniqueur du mercredi » pour Les Echos. Auteur de plusieurs essais chez Grasset, il a publié en septembre 2020 Les Etats généraux en 2022 (éd. De l’Observatoire).

Ses engagements européens l’ont conduit à créer le site www.etatsunisdeurope.com.

En dehors de la France, ses mandats le conduisent régulièrement en Chine (Young Leader de la France China Foundation) et aux Etats-Unis, où il est administrateur de la Maison Française à Columbia University, New York, et trustee du think tank Committee for Economic Development, Washington DC.

Le contrat social français est en lambeaux

Il est très difficile actuellement de faire des plans au-delà de 72 h : allons-nous être à nouveau confinés ? Les entreprises vont-elles vivre une nouvelle fermeture qui va se faire effondrer leur chiffre d’affaires mais aussi l’envie, la capacité à se projeter ?

700 000 jeunes arrivent sur le marché du travail, à qui on demande de patienter. Cela induit désarroi, inertie, et sentiment d’injustice. Je cite l’exemple de l’association Sport dans la Ville, la principale association d’insertion professionnelle par le sport en France. Chaque année, Sport dans la Ville forme une promotion d’environ 1000 jeunes issus de quartiers défavorisés ; les entreprises partenaires leur proposent entre 900 et 950 stages. Actuellement, le nombre de stages, CDD et alternances proposés s’élève à 150…

Le Secours populaire a publié une récente enquête : au printemps 2020, 1,2 million de personnes avaient accès à ses services ; aujourd’hui, il compte 45 % de nouveaux inscrits, notamment des familles, des étudiants qui n’ont plus de job d’appoint… Je m’inquiète pour demain de la révolte des chefs de famille.

Des liens de cause à effet évidents dans le passé sont en train de s’effriter : le lien entre travail, rémunération et patrimoine. Il devient normal de recevoir une rémunération sans travailler : c’est le cas avec le chômage partiel. Il existe une décorrélation encore plus grande entre l’état général de l’économie et la valorisation des actifs financiers : le cours des actions continue de s’envoler.

La société est fragmentée, désorientée, elle cherche d’autant plus de sens qu’elle du mal à se trouver une histoire commune. Prenons l’exemple de la colonisation : j’ai un arrière-grand-père, militaire et ingénieur, qui a participé à la colonisation d’une partie de l’Afrique. Il a travaillé à la construction de villes, de réseaux ferrés. Puis la colonisation est devenue un crime contre l’humanité. On a du mal à se trouver un socle commun.

 

Alors, faisons-en sorte d’avoir un avenir en commun. C’est le principe de la démocratie : quel avenir voulons-nous pour notre pays ? Mais nous touchons actuellement aux limites du fait majoritaire : il devient de plus en plus insupportable pour la minorité qui va contester, revendiquer, bloquer. La société est de plus en plus parcellisée, les réalités de plus en plus inacceptables. L’Etat est omnipotent mais n’arrive plus à fonctionner.

Je crois qu’il y a encore une chance pour éviter une destruction de la nation française : ce sont les Etas généraux.

Les Etats généraux, consubstantiels de la nation française

On ne connaît généralement que ceux de 1789, qui ont complètement dérapé. Terminés en juin 1789, ils sont devenus une Constituante aux mains des insurrectionnels qui a pavé le chemin vers une prise de pouvoir violente et une guerre civile… Les Etats généraux de 1789 sont un accident de l’histoire.

Mais on a oublié que les Etats généraux sont consubstantiels à la nation française, depuis l’époque de sainte Geneviève, au Vè siècle. Au Moyen-Age, ils étaient rassemblés tous les 6 ans. Philippe le Bel réunit la nation en janvier 1302 à Notre-Dame, composée des 3 ordres : le tiers-état, le clergé et la noblesse. Il s’agissait à l’époque de taxer les richesses du clergé pour renflouer les caisses de la nation en guerre dans les Flandres.

Les Etats généraux sont un outil de gestion des crises majeures en France, depuis que notre pays existe. Dès qu’il y avait un problème de légitimité, de consentement à l’impôt, on les convoquait. C’est un outil que l’Histoire nous tend pour continuer à écrire l’histoire de notre pays, sans violence.

Quand on se lance dans une dynamique d’Etats généraux, il faut un président fort. Or, le seul moment en France où le président est fort, c’est au début de son mandat, donc en mai 2022.

 

Les Etats généraux partent du terrain,
des communes, des familles

C’est une forme de démocratie participative.

Commencer par un audit me semble essentiel : partager la connaissance de nos forces et faiblesses, de ce qui est possible à réaliser ou non. Qu’est-ce qu’une dette qui représente plus de 100 % de notre PIB ? Nous sommes la deuxième nation maritime au monde : mettons-nous cet atout en valeur ?

Les Etas généraux rassembleraient 1200 personnes, dont 600 personnes du terrain qui prêteraient un serment démocratique. A ce corps majoritaire on adjoint deux corps minoritaires :

  • 300 délégués des élus de la nation : des représentants politiques de terrain, et non des partis politiques parisiens.
  • 300 représentants de ceux qui ont vocation de servir les autres : les syndicats participatifs, les associations et les cultes.

 

Je suis un farouche antijacobin, sauf pour les prérogatives régaliennes que sont l’armée, la police, la justice et la diplomatie. Les services de santé, d’éducation, doivent être ancrés sur le terrain. Je crois que nous sommes arrivés au bout du centralisme républicain.

Cette délégation du peuple travaillera à une nouvelle Constitution.

Je ne suis pas certain qu’on arrive à la présidentielle de 2022 dans un climat de stabilité sociale. Nous avons un contrat social à réécrire.

Les Etats généraux de l’éducation 

« Le think tank Vers le Haut, dédié aux jeunes et à l’éducation, a lancé il y a un an les Etats généraux de l’éducation. 7 thèmes éducatifs sont étudiés au cours de 7 journées de co-construction et soirées publiques dans 7 villes de France. L’idée est de rassembler des propositions issues des acteurs de terrain, de rédiger une Charte de l’éducation et la proposer au gouvernement pour l’adjoindre à la Constitution. Tous les citoyens peuvent apporter leurs propositions sur la plateforme etatsgeneraux-education.fr. »

Elisabeth Terrien, présidente-cofondatrice de la fondation CAJJED, membre du comité directeur du think tank Vers le Haut

Bertrand Badré : quand la finance peut changer le monde

Voulons-nous (sérieusement) changer le monde ? Tel est le titre du dernier livre de Bertrand Badré, paru en septembre 2020. Malgré des avancées certaines vers une économie plus responsable, la vie quotidienne des acteurs économiques reste fondée sur les normes héritées du capitalisme néo-libéral, dont l’objet est uniquement la maximisation du profit des entreprises. Après un survol de l’histoire récente, Bertrand Badré ouvre sur des solutions pour faire évoluer l’économie vers un modèle plus durable.

Bertrand Badré

Conférence avec des membres d'Un Esprit de Famille | 5 octobre 2020

On a préservé le système financier sans le corriger 

Dans les années 1970, le modèle des Trente Glorieuses s’essouffle. Milton Friedman lance le modèle néo-libéral de la maximisation du profit, seul objet de l’entreprise. La croissance mondiale est forte, jusqu’à la crise financière de 2008 : c’est une crise de l’endettement excessif, de la mondialisation, ainsi que de l’innovation : l’industrie financière crée des produits qui n’ont pas de sens dans l’économie réelle.

En 2008-9, après quelques errements les Européens, les Américains et les Chinois acceptent de coopérer : ils prennent toute une série de mesures pour contrôler le secteur bancaire et renforcer sa solvabilité. On colmate un certain nombre de brèches. On a préservé le système sans le corriger.

En 2015 sont signés les accords de Paris sur le climat, les 17 objectifs du développement durable (ODD) sont adoptés à l’ONU et, à Addis-Abeba, des engagements sur le développement : en qulque sorte, la feuille de route pour les prochaines années. Mais ces objectifs très généreux montrent deux faiblesses :

  • ils sont adoptés sur une base volontaire : aucun mécanisme coercitif n’existe pour mettre en œuvre les accords de Paris ni les ODD ;
  • comment financer le coût très élevé de cette transition, qui se situe entre 4 et 6000 milliards de dollars par an ?

Ex-directeur général de la Banque mondiale, ancien directeur financier du Crédit Agricole et de la Société Générale, ancien Conseiller pour l’Afrique et le développement auprès du Président Jacques Chirac, Bertrand Badré est aujourd’hui le PDG et fondateur du fonds d’investissement Blue Like an Orange Sustainable Capital, créé en 2017. 

Bertrand Badré a lancé son site web en juin 2020, où il publie régulièrement ses propositions et idées sur l’économie mondiale post Covid-19. Son livre Voulons-nous (sérieusement) changer le monde ? (éd. Mame) est paru en septembre 2019 pour repenser le monde et la finance après la crise du Covid-19.

Changer les normes 

Après 2015, la croissance reste assez satisfaisante mais le monde se durcit : Donald Trump au pouvoir, le Brexit, la Chine plus agressive, enfin le Covid19… Les faiblesses identifiées en 2015 se sont concrétisées. En laissant jouer le mécanisme de marché, nous ne sommes pas sur la trajectoire sur laquelle nous nous étions collectivement engagés. Les inégalités n’ont cessé d’augmenter : inégalités au sein des pays et entre les pays. Les feux en Californie témoignent de l’urgence climatique.

Si on veut être sérieux, on ne peut pas se contenter d’engagement. Si on veut changer le monde, il faut le faire avant de le dire. Mais le modèle économique actuel ne porte pas l’ambition du développement durable : l’économie reste largement ancrée sur la maximisation du profit. Cette vision se décline en matière comptable, dans les normes prudentielles, dans les modes de rémunération…

Tant qu’on ne travaillera pas sur ces normes, on ne sera pas sérieux. On a tendance à faire du washing : juste un coup de de peinture !

Selon Colin Mayer, professeur à Oxford, l’objet de l’entreprise devrait être de « trouver des solutions profitables aux problèmes de la planète et de ses habitants ». Cette ambition doit se traduire dans la vie économique quotidienne. C’est un très long travail d’acculturation.

Le couple risque/rendement augmenté de l’impact 

Au XXIè siècle, nous devons passer du modèle risque/rendement au modèle risque/rendement/impact.

Il existe plusieurs chapelles dans la cathédrale de l’impact :

  • l’impact au sens philanthropique,
  • return of capital : le retour de mon capital,
  • l’impact au sens fiscal français,
  • comme il n’existe pas de définition mondialement acceptée, j’ai créé ma propre évaluation de l’impact : par exemple, comparer l’impact d’un dollar dans un projet A concernant l’eau avec l’impact d’un projet B concernant la santé. Je propose à des institutionnels un retour commercial, augmenté de cet impact. Il faut être transparent sur ce qu’on fait, sur l’intention et sur le résultat, qui est l’impact.

Les Européens ont été plutôt en avance sur ces questions extra-financières, ils ont développé des méthodologies. Mais les Américains ont compris qu’il y avait un business. Ma crainte est que dans 10 ou 15 ans, les Américains soient juges de ce qui est bien ou mal. Affirmer ce qui est bien ou mal a une grande valeur stratégique. Nous sommes en train de laisser filer notre avance et je le regretterai beaucoup.

Pierre Siquier : faire reconnaître la générosité comme un complément de la solidarité

Syndicat professionnel des associations et des fondations, France Générosités s’est donné pour mission de défendre, promouvoir et développer les générosités en France. Son président, Pierre Siquier, s’est exprimé le 23 juin devant les membres d’Un Esprit de Famille sur les combats qu’il mène actuellement : accroître la déduction fiscale des dons en 2020, développer les pistes ouvertes dans le récent rapport des députées Sarah El HaÏry et Namia Moutchou sur « la philanthropie à la française ».
 Défiscaliser tous les dons à 75 % en 2020

Au cours du deuxième trimestre 2020, les dons en France n’ont pas diminué en volume mais ont été fléchés essentiellement vers le Covid19. Les dons destinés à d’autres causes comme la recherche sur le cancer, le sida ou même l’environnement ont baissé.

Avec 87 représentants de fondations et d’associations, nous avons publié une tribune dans Le Parisien le 21 juin  où nous proposons des mesures incitatives pour prolonger l’élan généreux qu’ont demontré les Français pendant la période de confinement.

L’année dernière, les dons pour la reconstruction de Notre-Dame ont été défiscalisés à 75 % par le gouvernement, alors que n’avions rien demandé. Nous ne voudrions pas qu’en termes de fiscalité, il y ait de bons et de mauvais secteurs. Nous demandons donc que tous les dons soient défiscalisables à 75 % en cette année du Covid19 où les besoins sont immenses. J’avoue ne pas être très optimiste sur le fait que nous serons entendus…

                                         
                                                  Biographie

Dès sa sortie de l’Ecole Centrale de Paris, Pierre Siquier se lance dans la communication industrielle, qui deviendra la communication B to B. Il dirige pendant 20 ans sa propre agence, qui passera dans le giron de Publicis. En 2000, il crée, avec deux associés, l’un des premiers sites de recherche d’emploi sur Internet : Keljob, qui appartient aujourd’hui à Figaro classified. Parallèlement à ses activités professionnelles, il s’engage avec Nicolas Hulot, dès la création de sa fondation en 1992. Il en reste vice-président puis président jusqu’en 2012.

Pierre Siquier est également administrateur et membre du bureau de l’ONG Plan International. Il est nommé président de France Générosités en 2018.

Le rapport des députées Sarah El HaÏry et Naïma Moutchou sur « la philanthropie à la française »

C’est la première fois qu’un rapport propose une synthèse assez complète sur « la philanthropie à la française » dont on avait, jusqu’à présent, une image fragmentée. Je voudrais revenir sur quelques points essentiels.

1. Définir l’intérêt général
Obtenir un agrément fiscal pour l’intérêt général passe par le Conseil d’Etat et le ministère de l’Intérieur pour les FRUP (Fondations Reconnues d’Utilité Publique), par les préfectures pour les fonds de dotation… Et c’est le ministère des Finances  qui a le dernier mot pour définir l’intérêt général. Nous voudrions que des acteurs du débat participent à cette définition : la vision ne doit pas être uniquement fiscale. Le rapport soulève cette aberration.

2. Créer un organisme représentatif du secteur
Les décisions et le « paysage » de la philanthropie sont actuellement trop morcelés. La philanthropie et le mécénat ne sont pas représentés auprès du gouvernement ni au niveau interministériel : il faut discuter avec Bercy, le Conseil d’Etat, les ministères de la Culture, de l’Environnement, les préfectures…  Ce Conseil national de le philanthropie représenterait les donateurs, les opérateurs et les organismes de contrôle comme Don en confiance et IDEAS. Il pourrait être garant de l’intérêt général pour sortir du carcan fiscal actuel. Dans ce cadre seront débattus tous les problèmes qui concernent la philanthropie.

La constitution de cet organisme serait une reconnaissance de notre place dans la société : que l’Etat reconnaisse la philanthropie comme un élément complémentaire de l’action de l’Etat, la générosité comme un complément de la solidarité.

3. Eduquer à la philanthropie
Il faudrait que la philanthropie soit enseignée dès le plus jeune âge. En France, nous avons un effort très important à faire dans ce sens. Au Canada par exemple, le programme des collèges comprend 20 h annuelles obligatoires sur les thèmes non profit, ainsi que des actions individuelles à réaliser.

4. Motiver de nouveaux donateurs
Les donateurs en France sont relativement âgés, il faut aller chercher de nouveaux donateurs plus jeunes. Ils sont sensibles à de nouveaux outils, comme les médias digitaux mais aussi le face à face par la collecte de rue.

Les 30 à 50 ans sont dans la vie active et pris par le temps mais je suis convaincu qu’il n’y a pas assez d’apprentissage à la philanthropie. Plus on informe tôt les enfants, mieux la philanthropie se portera.

Il existe aussi un défaut de communication sur la mission sociale des associations et fondations, sur leur rôle d’innovation sociale dans des domaines comme la fin de vie ou la sortie de prison.

 

Geoffroy Roux de Bézieux : « Il y a des fractures dans la société française mais le dialogue est aussi bien présent » 

Quelles premières leçons (prudentes) tirer de la crise du Covid-19 pour en réduire les conséquences économiques et sociales ? Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, a exprimé son point de vue aux membres d’Un Esprit de Famille le 19 juin, en insistant sur l’humilité qu’il faut garder face aux interprétations d’une crise aussi inédite et d’une telle ampleur.
 Des signes prometteurs

La crise du Covid-19 ne ressemble à aucune autre. Depuis le début du capitalisme, nous avons connu des bulles spéculatives qui ont éclaté dans un secteur ou un pays donné et contaminé ensuite toute l’économie, de la crise des tulipes en Hollande au XVIIIe siècle à celle des subprimes en 2008.

Actuellement, nous sommes face à l’inconnu, après la décision coordonnée et volontaire des Etats d’arrêter l’économie puis de la réouvrir progressivement. Même les économistes ne savent pas vers quoi nous allons… Cependant, depuis mi-mai, des signaux microéconomiques sont plus positifs que prévu, en France et dans le monde.

  • Les créations d’entreprises en France en mai ont rebondi, ce qui témoigne d’une vraie foi en l’avenir.
  • Depuis début juin, les ventes de voitures repartent fortement ; même stimulées par la prime à la casse, c’est un bon indicateur de reprise et de confiance des consommateurs.

Il y a des fractures dans la société française mais le dialogue est aussi bien présent : par exemple, 5 500 protocoles d’accords ont été signés pour la reprise du travail dans les entreprises. J’ai l’impression que les acteurs qui essaient d’avancer sont plutôt encouragés par l’opinion, c’est ce que je sens et ce que j’espère.

                                         
                                                  Biographie

Diplômé de l’Essec, grand sportif, capitaine de vaisseau de réserve, Geoffroy Roux de Bézieux démontre un goût prononcé pour le risque et l’entrepreneuriat. Cofondateur de The Phone House en 1996, il vend l’entreprise en 2000 mais en garde la direction générale jusqu’en 2004. En 2008, il est cofondateur du fonds d’investissement des entrepreneurs de l’Internet ISAI, notamment actionnaire de Blablacar. Il est président du fonds Notus Technologies depuis 2015. Il a été président de CroissancePlus de 2005 à 2008, de l’Unedic de 2008 à 2010. Il est élu président du Medef en 2018.

Des points saillants de la crise du Covid-19
  1. L’énorme aversion au risque des sociétés occidentales : or, le risque est consubstantiel de l’économie de marché ; une aversion également à ce risque qu’est la mort. En 1968, l’épidémie de grippe de Hong Kong a provoqué 3 millions de morts dans le monde et personne ne s’en souvient ; nos civilisations occidentales privilégient le prolongement de la vie, c’est un choix collectif sans discussion ni débat. Cette crise va marquer profondément la façon dont nous allons gérer le risque.
  2. Le couple liberté/responsabilité sur lequel reposent les démocraties occidentales a migré vers la norme/le contrôle de la norme : très peu de gens ont protesté contre les contrôles pour sortir de chez eux.
  3. L’Etat a développé une présence massive : nous n’en avons pas connu de telle depuis 1945. 500 000 entreprises ont demandé un prêt garanti par l’Etat ; au pic de l’épidémie, 8 millions de salaires ont été nationalisés : « L’Etat va tout faire » (Bruno Le Maire).
  4. Le lien entre global et local : l’aspiration est forte à retrouver une souveraineté locale mais avec des injonctions contradictoires car les citoyens veulent consommer localement mais ne veulent pas en payer le prix.
  5. Les injonctions contradictoires se multiplient : produire des masques en France pendant qu’on en achète en Chine ; décarboner l’économie et repenser les chaînes de production mais à bas coût…
A la reconquête de la souveraineté économique 

« Démondialiser » consiste à sortir du modèle low cost, il faut donc changer notre modèle de consommation. Je ne crois pas que « la sobriété heureuse » corresponde aux aspirations des citoyens. En revanche, on peut réfléchir à consommer moins d’unités de valeur avec plus de valeur ajoutée. C’est ce que nous  parvenons à réaliser dans l’agriculture biologique. Au Medef, nous poussons à un affichage pour informer du contenu carbone du produit : cela peut faire évoluer les modèles de consommation et de production. Je crois à l’incitation, pas à l’écologie punitive. Mais la fiscalité en France ne nous rend pas compétitifs.

Améliorer le partage de la valeur dans les entreprises

Nulle part il n’existe autant d’outils qu’en France pour partager la valeur, avec la participation et l’intéressement. En réalité, la valeur dans les entreprises n’est pas partagée entre deux acteurs, mais trois : les salariés, les actionnaires et l’Etat. Selon les chiffres de l’INSEE, le partage de la valeur dans les entreprises entre salaires et capital en France reste identique, la seule part qui ait augmenté depuis dix ans est celle de l’Etat.

Comment intégrer la RSE dans la performance de l’entreprise ?

Ce sujet prend de plus en plus de place dans les directions des entreprises. L’étape suivante est la comptabilité en triple capital : faire en sorte que les externalités négatives soient prises en compte. Il faut changer les normes comptables pour y introduire la RSE mais la concurrence doit suivre. Des réflexions intéressantes sont menées en Europe sur la taxonomie qui classe les entreprises en fonction de leur production de CO2. Je crois que la bonne solution est dans l’évolution des normes comptables et la création de nouvelles grilles de lecture pour changer de paradigme.

Jean-Jacques Aillagon : « Il faut garantir aux citoyens une part de responsabilité dans l’intérêt général »

La loi du 1er relative au mécénat, aux associations et aux fondations, dite « loi Aillagon », est le texte fondateur du mécénat et de la phlanthropie « à la française ». Jean-Jacques Aillagon s’est adressé en visioconférence le 3 juin aux membres d’Un Esprit de Famille : il a rappelé les contexte et les principes essentiels de cette loi et a exprimé ses espérances pour l’avenir de la philanthropie et de la culture.

 

Le contexte de la loi de 2003

« J’avais dirigé des établissements culturels, comme le Centre Pompidou, et mesuré à quel point la loi n’était pas incitative pour les soutenir financièrement.

Etant alors ministre de la Culture, j’avais cependant conscience que la loi ne devait pas encadrer seulement le mécénat culturel mais embrasser toute la philanthropie : la recherche médicale, la solidarité, la santé, l’alimentation d’urgence… tout ce qui concerne le développement de l’intérêt général.

J’ai souhaité aussi que les dispositions fiscales de la loi soient d’une très grande simplicité, d’où le choix de la réduction d’impôt plutôt que la déduction d’impôt. Le taux universel de réduction était de 60 %. Ce taux pour les particuliers a été porté à 66 %, ce qui est bénéfique mais s’éloigne de la simplicité initiale. »

                                          Biographie

Ancien ministre de la Culture sous la présidence de Jacques Chirac, Jean-Jacques Aillagon avait, auparavant, dirigé les Affaires culturelles de la Ville de Paris et présidé le Centre Pompidou. Il a, depuis lors, présidé TV5 Monde, installé la collection Pinault à Venise et dirigé Palazzo Grassi, présidé le Château de Versailles et les Arts décoratifs. Jean-Jacques Aillagon est, depuis 2014, président de la mission pour l’inscription de Nice sur la Liste du patrimoine mondial. Il est également conseiller de François Pinault dans ses activités artistiques et culturelles et directeur général de la Collection Pinault.

Les principes fondateurs de la loi de 2003

« Je n’ai cessé de vouloir affirmer certains principes :

  • le mécénat ne doit pas être « la jambe de bois » d’un Etat ou de collectivités publiques défaillants ; il ne justifie pas le désengagement budgétaire de l’Etat : les actions d’initiative privée sont légitimes à côté des actions publiques ;
  • il faut garantir aux citoyens une part de responsabilité dans l’intérêt général. Nous avions imaginé que seul l’Etat était garant de l’intérêt général, avec les collectivités publiques ; or, il appartient à chacun d’entre nous et aux entreprises de prendre une part de responsabilité, dans une fondation, une association, la participation à un parti politique… Une entreprise ou un individu n’aurait pas suffisamment de discernement pour évaluer de façon incontestable ce qui appartient à l’intérêt général ? C’est une façon de penser que je trouve incompatible avec la démocratie.
  • Le mécénat n’est pas une niche fiscale : il y a une part de générosité pure dans les dons, la loi invite les citoyens à payer un impôt supplémentaire, une sorte de don gratuit. Celui qui ne donne rien dépense toujours moins que celui qui donne. »
A propos des fondations familiales

« Les fondations familiales sont l’expression d’une des structures qui constituent la société. La famille a semblé se déliter au cours des dernières décennies. Or, on s’aperçoit que, dans des périodes de crise comme celle que nous vivons, elle fait office de socle protecteur. La famille est un cadre de stabilité, constitutif de nos sociétés. Il faut donc lui reconnaître ce rôle, et d’autant plus quand elle déploie des solidarités à l’extérieur d’elle-même à travers une fondation au service de l’intérêt général. »

L’évolution du mécénat et de la philanthropie 

Sabine Roux de Bézieux, Présidente d’Un Esprit de Famille : Un Esprit de Famille a entrepris une démarche de plaidoyer pour « la Fondation du 21e siècle » : une refonte des statuts des fondations vers plus de simplification et de souplesse. Croyez-vous des évolutions possibles ?

 Jean-Jacques Aillagon : la création des fonds de dotation, au statut très souple, a démontré que des évolutions importantes sont possibles. Il y a là un grand enjeu politique qui mérite un engagement fort de la part du gouvernement. La loi des finances 2020 a plafonné à 2 millions d’euros la capacité de mécénat des grandes entreprises. On essaie de raboter plutôt qu’encourager cette grande chance qu’est le mécénat pour la société… En 2003, le Président Jacques Chirac était lui-même très engagé. Aujourd’hui, l’Etat manque d’une doctrine et d’une vision globale de la philanthropie et de son avenir.

L’évolution de la culture après le confinement 

Tessa Berthon, deléguée générale d’Un Esprit de Famille : je m’adresse à l’homme de culture, comment voyez-vous l’évolution des entreprises culturelles après la crise dramatique qu’elles viennent de vivre ?

Jean-Jacques Aillagon : l’activité culturelle s’est quasiment interrompue pendant le confinement mais la culture ne s’est pas arrêtée. Chacun de nous a continué à exister en tant qu’être culturel. Une formidable créativité a émergé. Nous nous tournons vers l’Etat et les collectivités locales pour qu’ils prennent la mesure du problème, qu’ils financent la réouverture et la remise en fonctionnement des entreprises culturelles.

Jean-Dominique Giuliani : « Un grand geste de solidarité européen serait soutenu par l’opinion publique »

Jean-Dominique Giuliani, Président de la fondation Robert Schuman, s’est adressé par visioconférence aux membres d’Un Esprit de Famille le 19 mai. Après avoir brossé un tableau synthétique sur le thème D’où vient l’Europe ?, il a résumé les principaux défis qu’elle rencontre acutellement.

 

Créée en 1991, la fondation Robert Schuman œuvre en faveur de la construction européenne. Elle développe des études sur l’Union européenne, ses politiques, et en promeut le contenu partout dans le monde. Elle provoque, enrichit et stimule le débat européen et apporte une aide concrète aux nouvelles démocraties.

Jean-Dominique Giuliani rappelle que l’Europe est un petit continent : 4 millions de km². Avec près de 500 millions d’habitants, l’Europe reste cependant la première puissance commerciale et le premier PIB de la planète.

D’où vient l’Europe ?

5 ans après l’arrêt des combats de la Seconde guerre mondiale, les bases de l’Union europénne ont rompu avec le cours de l’histoire guerrière du continent, qui était hérissé de murs et de frontières.

L’idée de Jean Monnet, portée par Robert Schuman, alors ministre des Affaires étrangères, était d’endiguer les logiques nationales, voire nationalistes. L’acte fondateur de l’Europe est la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), en 1951. Puis la Communauté Economique Européenne fut créée en 1957 avec 6 membres.

La vision de Robert Schuman et Jean Monnet était de mettre en commun quelques intérêts économiques pour que, petit à petit, le partage de ces intérêts crée une union politique. Nous venons d’une Europe essentiellement économique : le marché unique puis la monnaie unique. Par 11 traités successifs, l’Europe s’est intégrée progressivement.

Cette union économique arrive au seuil de de l’intégration politique. Des chantiers à venir très importants touchent au domaine du régalien.

L’Europe, c’est le temps long…

Les défis de l’UE pour exister dans la rivalité entre la Chine et le USA et la montée en puissance de l’Afrique
  • Pour compter dans cette compétition, l’Europe a besoin d’un nouveau pas d’intégration économique. L’euro est devenu la deuxième monnaie de référence du monde mais loin derrière le dollar. Nous aurions besoin d’un Trésor européen, d’un politique monétaire plus agressive.
  • La deuxième priorité est sécuritaire : l’Europe s’est reconstruite pour la paix. Nous aurions besoin d’une armée européenne et en sommes très loin, même si un début de cooperation s’est esquissé.
  • Il manque une dimension politique que nos élites refusent de franchir. Il n’existe pas de sentiment d’appartenance européenne, les institutions européennes sont trop lointaines et compliquées.

Un grand geste serait soutenu par l’opinion publique. Mais chaque fois, les technostructures ou les dirigeants présentent cela comme quelque chose en moins. Le génie de l’Europe doit être d’additionner, de donner des possibilités supplémentaires.

La solidarité européenne a régressé du fait de l’élargissement car il est réalisé sur des critères économiques et non politiques. Le caractère inachevé de l’Europe n’est pas dû à son élargissement mais au défaut de discours politique. La fondation Robert Schuman travaille sur ces sujets.

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