Pour qu’un enfant pauvre ne devienne pas un adulte pauvre, avec Denis Metzger
Philanthropes en action #15
« Pour qu’un enfant pauvre ne devienne pas un adulte pauvre. »
avec Denis Metzger
Président et fondateur de Break Poverty Foundation
Contrairement à une idée très répandue, ce ne sont pas nos seniors qui sont victimes de la pauvreté en France, mais les plus jeunes. Dans notre pays, un jeune sur quatre vit sous le seuil de pauvreté. Ce sont ainsi 3 millions d’enfants et de jeunes qui vivent dans la précarité ou le dénuement.
Mais le scandale qui mobilise Break Poverty est plus grave encore. Car notre pays est touché par un mal singulier, et ce mal français, c’est l’inégalité des chances en France : un enfant né pauvre va nécessairement devenir un adulte pauvre.
Nous sommes là devant un grand paradoxe : alors que la France est le premier pays –toute catégorie– en matière de redistribution fiscale et sociale, notre pays se situe à l’avant-dernier rang des pays de l’OCDE, pour l’égalité des chances.
La France est victime d’une reproduction sociale délétère. Des millions de jeunes y grandissent avec le sentiment que leur avenir est déjà écrit, confisqué par leur naissance.
Et ce sentiment provient d’une triste réalité. Alors que 60 % des enfants de cadres sortiront avec un diplôme du supérieur, seuls 8 % des enfants d’ouvriers atteindront ce niveau-là.
Alors que 84 % des enfants de mères diplômées auront le Bac, général ou technologique, ils ne seront que 30 % dans les familles où la mère a grandi sans diplôme.
Qu’est ce qui a été le moteur de votre engagement philanthropique ?
Denis Metzger :
La certitude que pour se réaliser pleinement, il faut, d’une façon ou d’une autre, se sentir utile, et donc s’engager pleinement. Mais pour s’engager pleinement, il faut d’abord s’indigner pleinement ! Stéphane Hessel nous la rappelé avec force : « Indignez-vous »! Mais dès lors que l’on est indigné que faire sinon s’engager ?
Je me suis engagé à la fin de mes études sur le thème de la faim dans le monde, indigné par la situation du Cambodge, de l’Afghanistan et de l’Ethiopie. J’ai participé à la création de l’Action contre la Faim que j’ai présidée de 2005 à 2012.
J’ai pensé nécessaire de créer la Fondation Break Poverty parce que les inégalités ne sont pas seulement l’apanage des pays lointains. En France aussi la jeunesse nous interpelle et nous attend !
Agir et rendre l’avenir confisqué aux jeunes qui grandissent, m’est apparu comme une impérative nécessité.
Quelle est l’ambition de Break Poverty ?
Denis Metzger :
Tout d’abord, poser un diagnostic clair.
C’est la raison pour laquelle Break Poverty s’est constitué comme un Think tank à la recherche des causes puis des solutions pour réduire les dysfonctionnements de notre société.
Ensuite, faire appel au « collectif », car en matière sociale, les difficultés sont systémiques, et les solutions doivent l’être aussi. Sans une mobilisation du plus grand nombre (collectivités, associations, acteurs économiques), sans volonté d’impact, les résultats risqueraient de ne pas être au rendez-vous.
Quels sont les domaines d’intervention de Break Poverty ?
Denis Metzger :
La recherche de résultat et d’impact, nous a conduit à nous concentrer sur les actions de prévention. Il nous a ainsi paru vital d’agir en amont, et de fermer successivement les trois portes d’entrée principales qui mènent à la pauvreté :
– la petite enfance, notamment celle qui grandit dans la monoparentalité,
– l’école et le décrochage scolaire,
– la recherche du premier emploi.
Le Nobel Heckman nous a enseigné que plus la prévention est précoce et plus l’efficacité et le résultat sont rendez-vous.
Pourquoi avoir choisi le mentorat comme levier d’action ?
Denis Metzger :
L’analyse attentive des expériences étrangères, notamment nord-américaines, nous a conduit à penser que le mentorat auprès des jeunes de milieux défavorisés contribuait mieux que tout à leur émancipation positive.
Convaincu que le mentorat pouvait avoir un impact tangible, même sur les enfants les plus vulnérables, Break Poverty a décidé de mener une expérimentation sur les jeunes particulièrement fragiles accueillis par l’Aide Sociale à l’Enfance. À partir d’une cohorte de 700 jeunes désignés par 25 Départements, les résultats se sont révélés particulièrement convaincants :
– 80% des enfants reprennent confiance en eux en quelques semaines.
– 95% des enfants affirment que cela a renforcé leur envie de réussir à l’école.
Muni de ses résultats probant, Break Poverty a fait voter un amendement législatif à la Loi Taquet pour rendre obligatoire l’offre de Mentorat à chaque jeune de l’ASE avant ses 18 ans. C’est aujourd’hui l’obligation qui est faite à chaque président de Département.
Break Poverty a ensuite formé une grande majorité des Départements, et s’applique dorénavant à développer, de façon massive, le mentorat dans une trentaine de ces Départements.
Objectif : tripler le mentorat sur trois ans en portant le nombre de jeunes mentorés de 3500 à 10000.
Pour atteindre cet objectif ambitieux, Break Poverty a créé l’Alliance Mentorat ASE qui appelle tous les philanthropes intéressés à unir leurs efforts et leurs moyens, avec le soutien d’Un Esprit De Famille.
Cette Alliance de philanthropes concentrant leurs efforts sur un objectif commun peut changer le destin de milliers de jeunes en situation de grande vulnérabilité.
Quels sont vos projets « coup de coeur » et vos défis à relever ?
Denis Metzger :
Les réussites qui contribuent à nous donner de l’élan et à continuer notre combat sont nombreux. Pendant la crise du Covid, il nous est paru nécessaire de distribuer des ordinateurs aux jeunes scolarisés qui n’en avaient pas. Un mentor était associé à ce don pour aider la prise en main de l’ordinateur. 16 000 ordinateurs ont ainsi permis aux enfants scolarisés de suivre leur cours à distance pendant que les écoles étaient fermées.
Réduire la précarité alimentaire est également l’un de nos combats de prédilection. Break Poverty a organisé la mise en place de distributions de produits alimentaires pour bébés, dans les réseaux de distribution alimentaires, avec une mobilisation collective des industriels (DANONE, Unilever, Procter, etc.), des centres de distribution alimentaire, de l’Agence du Don en Nature et Dons Solidaires.
Les 3 m€ de subventions de l’État ont permis ainsi de distribuer 28 millions de produits valorisés à 16 m€ au bénéfice de 400 000 bébés victimes de précarité alimentaire et hygiénique, dans le cadre de l’opération Pacte pour les Premiers Pas.
La petite enfance défavorisée demeure un vrai défi à relever. Break Poverty travaille aujourd’hui à recentrer les PMI (Protection Maternelle et Infantile) sur leur mission principale, à savoir l’accueil des futures et jeunes mamans victimes de vulnérabilités sociales. Un projet pilote mené avec l’aide de deux Départements (l’Indre et Loire, et les Alpes-Maritimes ), travaille à mettre en place un repérage précoce des vulnérabilités, et une réorientation des services d’aide vers les plus fragiles.
Autres défis que Break Poverty souhaite adresser rapidement : celui du soutien des lycéens des voies professionnelles en risque de décrochage. Un faisceau de solutions sont à l’étude : la création d’une année de césure préparatoire entre le collège et le lycée pro ; le développement du mentorat auprès des jeune de ces lycées pro ; l’orientation de l’apprentissage vers les jeunes en risque de décrochage ; le suivi dans la durée des jeunes lycéens à risque avant et après le diplôme.
Nous appelons tous les acteurs associatifs à se mobiliser sur ces thèmes, avec le parrainage de l’État et de l’Education nationale.
En conclusion, seule une analyse attentive des causes des dysfonctionnements de notre société, suivi par la mise en place de solutions testées et éprouvées, puis par un passage à l’échelle nationale dans le cadre d’une mobilisation collective des pouvoirs publics et des philanthropes, permettra de changer les destins à grande échelle.
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