Philanthropes en action #7 : Agir contre l’isolement

 Philanthropes en action #7

Agir durablement contre l’isolement

avec Cyril Maury, président du fonds Après Demain

 

En France, 8 millions de personnes sont en situation d’isolement social*.
Derrière ce chiffre alarmant, autant de situations particulières et de d’épreuves personnelles qui fragilisent des parcours de vie.

Pauvreté, privation de liberté, ruptures familiales, grand âge, perte d’emploi, problèmes de santé, exil…, les causes de l’isolement social sont multiples, et les conséquences peuvent être lourdes.

Face à cette réalité, de nombreuses associations agissent et travaillent chaque jour pour réparer, soutenir, soigner, tisser du lien…

Entretien avec Cyril Maury, président du fonds de dotation Après Demain qui a choisi d’accompagner des acteurs de terrain pour lutter durablement contre cet isolement.

* Source : Fondation de France 2024

 

Qu’est-ce qui vous amené à vous engager dans la philanthropie ?

    L’action philanthropique, qui s’inscrit dans une suite logique d’engagements successifs et de valeurs familiales partagées, s’est presque imposée d’elle-même à la cession de mon entreprise.

    Avec un double objectif :

    • Désir de de s’engager et d’agir pour la société.

    Quand on a une vie heureuse, il faut être conscient des douleurs qui nous sont épargnées et avoir une exigence de solidarité, un souci de partager avec les plus fragiles, de se déposséder.
    On ne peut pas dire « cela ne me concerne pas ». Chacun peut faire sa part et être utile. Redistribuer la richesse, partager, devient alors un enjeu social ; la pauvreté apparaît quand disparaît le sens du partage.
    En donnant, on s’appauvrit matériellement, mais on s’enrichît considérablement sur les plans intellectuel et spirituel.

    • Désir aussi de transmettre familialement et dans la durée les valeurs d’attention à l’autre.

    Quand on prend conscience que notre existence dépend des autres (nourriture, santé, travail, éducation…), que notre bonheur ne peut se construire qu’avec le concours des autres, alors il est naturel d’accorder de la valeur à l’autre, de se sentir concerné par sa situation et de s’engager pour cela.

    Léguer aux générations futures beaucoup plus que des biens matériels, leur offrir la chance de pouvoir agir pour une société plus juste, plus humaine, de se rassembler autour d’un projet fédérateur, de donner du sens à leurs vies, se mettre au service de causes d’intérêt général, renforce les liens familiaux.

    L’exercice de la philanthropie grandit ceux qui la pratiquent.

    Dès l’origine en 2010, nos enfants et beaux-enfants ont été acteurs de la réflexion et des décisions à prendre (cause soutenue, montant allocation, type de structure, gouvernance et mode de fonctionnement). Libres à eux ensuite de s’inscrire opérationnellement dans le projet, sans rien imposer : on ne fait bien dans la durée que si l’on se sent vraiment libre.
    Tout a été construit avec eux, et l’adhésion dure depuis maintenant 15 ans.

    Pourquoi avoir choisi de vous consacrer aux personnes en situation d’isolement ? 

    Dès l’origine, nous avons consacré 2 jours à réfléchir en famille. Pour défendre une cause, il est important qu’elle résonne au plus profond de chacun de nous et tenir compte des désirs de chacun. A travers le fonds Après Demain, nous avons choisi collectivement de nous investir sur un sujet majeur de société : l’isolement, l’absence de lien social, la solitude subie.

    En 2024, 12 % des Français, soit près de 8 millions de personnes, sont en situation d’isolement total.
    Ce simple chiffre parle de lui-même et témoigne de l’urgence d’agir.


    © Photo Sasha Freemind / Unsplash

    Comment la philanthropie peut-elle contribuer à lutter contre l’isolement social ?

      En accompagnant les acteurs de terrain qui, grâce à leurs expériences et expertises, maîtrisent la complexité du sujet.

      Après avoir repéré les associations les plus efficaces, nous les accompagnons dans la durée. Notre objectif est de leur faciliter la vie, de les aider à réussir durablement leur projet associatif au plus près du terrain et des besoins des premiers concernés, d’être un vrai compagnon de route, sans ingérence et dans une relation vraie et de confiance réciproque.

      Vous êtes implantés et très actifs dans les Pays de la Loire. Quelles sont les spécificités territoriales que vous rencontrez ?

        Nous intervenons effectivement dans un rayon de 150 kms autour de Nantes, avec la volonté d’agir localement et d’entretenir des relations proches avec les associations que nous soutenons.

        Le tissu associatif est riche, avec des structures de tailles différentes qui ont un vrai impact sur le territoire. La répartition des associations est inégale entre les territoires urbains et les territoires ruraux. Il y a parfois un besoin de repérage.

        Il y a une grande proximité avec les acteurs locaux, publics et institutionnels, ce qui permet d’échanger facilement et d’accompagner ensemble les associations, de travailler en réseau. Cela nous permet aussi d’apporter contacts et mises en lien pour les associations.

        Quels sont vos 3 projets coups de coeur ?

        Le fonds de dotation Après Demain est un partenaire historique de l’association Permis de Construire par son financement et son accompagnement.

        L’intérêt de Permis de Construire réside dans le fait que l’association fait de la personne placée ou passée sous main de justice le véritable acteur de sa réinsertion professionnelle. Elle a un impact fort sur la diminution des récidives en redonnant aux personnes la confiance nécessaire et le pouvoir d’agir en vrai pilote de leur vie.

        Ce qui nous a intéressé, c’est aussi d’accompagner Permis de Construire dans son déploiement, en lui permettant de passer d’une association locale basée à Nantes à un réseau qui développe son expertise sur les territoires afin de montrer l’intérêt de son modèle, pour les personnes accompagnées, et pour la société.

        Nous accompagnons aussi depuis 3 ans Le Nez à l’Ouest, association de clowns hospitaliers, qui propose des interventions de clowns hospitaliers en duo et de manière régulière aux personnes vulnérables principalement accueillies en établissement (EHPAD, hôpitaux, structures médico-sociales) avec une attention toute particulière pour le public des personnes âgées.

        Ce qui nous a intéressé, c’est d’arriver auprès du Nez à l’Ouest à un moment où la fondatrice, elle-même clown, voyait bien l’intérêt de son projet, mais n’avait plus l’énergie de mener de front l’organisation de la structure et son métier de clown. Nous l’avons accompagnée dans la structuration de l’association.

        Enfin, nous sommes heureux d’accompagner depuis 3 ans également AREA, association qui accompagne les enfants issus de la migration dans l’apprentissage du français tout en donnant une place à leurs parents dans leur réussite scolaire. Nous savons combien le système scolaire peut être compliqué, a fortiori pour des personnes qui ne parlent pas la langue.
        AREA a mis en place un parcours adapté à la fois pour les enfants pour qu’ils puissent progresser et trouvent pleinement leur voie, et pour les parents pour favoriser leur intégration et leur donner une vraie place aux côtés des enseignants dans le parcours scolaire de leurs enfants.

        Un Esprit de Famille vient de lancer une antenne à l’ouest. Que va apporter cette présence locale aux fondateurs de la région ?

        Il y a peu de fondations ou de fonds de dotation en région ; il est important de bien se connaître pour travailler ensemble.

        Un Esprit de Famille Ouest va constituer un véritable espace d’échanges et de partage sur nos pratiques, sur les associations que nous accompagnons, mais aussi un espace de réflexion sur des questionnements propres à nos structures familiales, autour de la gouvernance, de la transmission…

        Pour conclure, j’aimerais conclure sur les enjeux plus globaux de la philanthropie.

          Face aux situations de plus en plus complexes auxquelles doivent faire face les associations, nous, fonds et fondations, avons des questions à nous poser sur le rôle que nous devons jouer en tant que financeurs : comment pourrions-nous travailler autrement avec les associations, au-delà des appels à projets, pour répondre à leurs besoins réels ?

          • Finançons prioritairement des structures plutôt que des projets. Des structures solides sont nécessaires pour porter des projets durables et impactants.
          • Interrogeons-nous sur notre rapport à l’innovation : doit-elle toujours être le critère central de nos financements ? La pérennisation d’actions existantes et qui ont fait leurs preuves est aussi essentielle.
          • L’utilité sociale s’inscrit dans le long terme. Privilégions les actions de long terme. Accompagnons les structures dans la durée pour leur permettre de se concentrer sur leurs activités, et non sur la recherche de fonds.
          • Allégeons les lourdeurs administratives et favorisons des relations fondées sur la confiance, la transparence et les échanges sincères.

          Nous croyons qu’en assurant un financement stable et pérenne, en soutenant le fonctionnement, essentiel à la réalisation de projets, sans imposer des exigences excessives de mesure d’impact, nous permettons à ces associations de se concentrer pleinement sur leur mission sociale.

          Il nous semble important de favoriser la reconnaissance du travail effectué par les dirigeant.e.s d’associations, les équipes et les bénévoles, et de lutter contre le risque d’épuisement de l’ensemble des parties prenantes associatives, dans un contexte qui se complexifie.

          Il est donc essentiel de travailler ensemble, avec d’autres fonds et fondations, à consolider les associations pour leur permettre d’atteindre pleinement leur mission, et ainsi renforcer et soutenir durablement le secteur associatif. Cette nécessité de collectif nous a motivés, entre autres réseaux, à rejoindre Un Esprit de Famille.

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