En créant un dispositif fiscal unique au monde, pour tout donateur, la loi Aillagon a ouvert le champ des possibles à d’innombrables initiatives venant de la société civile (particuliers, entreprises, institutions…). Depuis, ce sont les bénéficiaires comme les donateurs qui ont bénéficié de ce « premier cadre général » en faveur d’une politique de mécénat et de philanthropie à la française.
Mais depuis… Les lois se sont succédé, ajoutant des règles techniques et fiscales qui pèsent plus sur les structures (notamment les fonds de dotation) qu’elles ne libèrent toujours plus leurs énergies « donatrices ».
La révolution du mécénat et de la place accordée aux fondations se fait toujours attendre…
Ces propos avaient déjà été tenus en 2003 par le sénateur Paul Dubrule devant le ministre Jean-Jacques Aillagon ; il interpellait ainsi le gouvernement et les élus : « l’intervention de l’administration concernant les fondations reste entière (…) Il est temps, pour libérer les générosités, que l’administration fasse confiance à ceux qui veulent aider, tout en conservant, bien sûr, un rôle de contrôle a posteriori, afin de vérifier la transparence des comptes et l’absence d’abus concernant les avantages fiscaux. »
L’association « Un Esprit de Famille » s’est créée, il y a plus de dix ans, pour rassembler les particuliers et les familles qui s’engagent de façons structurée et stratégique dans la philanthropie avec une conviction profonde : la philanthropie familiale et privée a un rôle majeur à jouer pour le bien commun, en complémentarité de l’action publique.
Dans le cadre de ses auditions pour le rapport parlementaire sur la philanthropie à la française publié début 2020, Un Esprit de Famille avait formulé de nombreuses recommandations, dont deux ont ensuite été reprises par la loi : étendre au CAC la responsabilité de s’assurer de la publication des comptes, autoriser les préfectures à lancer la dissolution d’un FDD, ce qui a été mis en œuvre également.
En revanche, aucune des recommandations qui visent à déployer l’esprit de la loi de modernisation de l’économie de 2003, ou l’idée selon laquelle la loi dite Aillagon, serait « un premier socle, un premier cadre général » n’ont été intégrées. Aujourd’hui, une famille comme un particulier peut créer et développer son entreprise ; mais il lui est impossible de créer et développer une fondation. En effet, il ou elle peut opter pour trois formules juridiques, dont aucune ne répond complètement aux besoins d’une philanthropie entreprenante et performante.
- Une Fondation sous égide n’a pas de personnalité morale, elle est dans l’impossibilité de contractualiser et donc de recruter, ni de signer des engagements, ou encore d’être opératrice,
- Une Fondation reconnue d’utilité publique contraint la famille ou le particulier à renoncer au contrôle de sa fondation, même si toutes les règles sont respectées,
- Quant au Fonds de dotation sa terminologie se rapproche davantage d’un outil financier que d’un outil philanthropique. Sauf si l’on utilise une dénomination anglo-saxonne, ce que l’on ne peut que regretter dans le pays de la langue de Molière !
Alors que faire d’ici 2030 ? Prendre au sérieux l’engagement pris par M. Aillagon, il y a 20 ans, de faire de sa loi une première étape pour une philanthropie à la française. Les philanthropes privés et familiaux doivent pouvoir jouer pleinement leur rôle aux côtés de l’Etat, pour soutenir les politiques en faveur de la culture, de l ‘éducation, du lien social … Ils savent prendre des risques et soutenir des causes peu financées, tester des expérimentations locales ou accompagner dans la durée des projets innovants.
Il ne reste donc qu’à libérer cette générosité.
Sabine Roux de Bézieux, présidente d’Un Esprit de Famille
Article paru dans Jurisassociations du 15/10/2023
Reproduction avec leur aimable autorisation
© Photo Diego-ph pour Unsplash