Les philanthropes en action #3 : Un monde plus inclusif grâce à la culture et la lecture.

Les philanthropes en action #3

Un monde plus inclusif grâce à la culture et la lecture

avec Philippe Le Squéren, président du fonds de dotation Kiléma

Quelle est l’origine de votre engagement ?

Le projet KILEMA est familial. Cécile et moi sommes parents de 4 enfants. Nous avons créé le Fonds de dotation KILEMA en 2022 pour pallier un manque d’offre culturelle adaptée pour notre dernière fille Lucie, aujourd’hui âgée de 19 ans et porteuse d’une trisomie 21.

Depuis sa naissance, nous avons été confrontés à de nombreux problèmes d’accès aux droits (école, santé, accessibilité, etc.), mais aussi à la culture, au livre et à la lecture en général. Résultat : elle ne connaît aucun des classiques de la culture populaire, contrairement à ses frères et sœurs (Antoine, Zoé, Gabin).

Dès lors, comment envisager une inclusion réelle sans partage culturel ?

Cécile est traductrice et linguiste, tandis que je suis ingénieur et chef d’entreprise. En 2022, grâce aux fruits de la cession d’une entreprise créée 10 ans plus tôt, nous avons décidé d’agir pour un monde inclusif par la culture. Le projet s’appellera KILEMA, qui signifie « handicap » en malgache.

Dès le départ, le projet a été très ambitieux et a voulu s’inscrire dans une démarche holistique avec tous les acteurs de l’inclusion en France : associations, fondations, pouvoirs publics, collectivités locales, entreprises. Nous voulons prendre notre part et apporter la pièce du puzzle que nous connaissons et pouvons construire, mais nous pensons également que chacun peut faire sa part à la hauteur de ses capacités.

Je suis convaincu depuis longtemps que l’on ne peut rien faire seul.
C’est pourquoi nous avons créé plusieurs structures distinctes avec la transparence maximale comme étendard :
– un Fonds de dotation (KILEMA fonds de dotation),
– une maison d’édition commerciale détenue par ce fonds (KILEMA Editions),
– et une association (KILEMA Tiers Lieu).

 

 

Qu’est-ce que KILEMA peut apporter à l’inclusion ?

Lors de son discours de politique générale devant l’Assemblée, le 1er octobre dernier, M. Barnier a évoqué le 5e chantier de son gouvernement : la fraternité, notamment pour le handicap. Il a dit : « La fraternité, c’est aussi développer une politique culturelle accessible à tous… ». Chez KILEMA, c’est exactement ce que nous pensons.

La culture est essentielle à l’émancipation, à la liberté de pensée et donc à l’inclusion dans une société hiérarchisée et complexe. Le Premier ministre a ajouté : « L’accès à la culture est à la fois un facteur essentiel d’ouverture personnelle, une condition pour faire progresser l’égalité des chances et l’un des ciments de notre lien social. » Tout est dit !

Avec KILEMA, nous avons décidé de le faire : d’abord, avec la maison d’édition KILEMA Éditions, nous traduisons et éditons un maximum d’ouvrages de la littérature classique en FALC. À ce jour, nous avons édité   « Les trois Mousquetaires », « L’étranger », « Cyrano de Bergerac », « L’histoire de l’impressionnisme » en partenariat avec le Musée d’Orsay et une vingtaine d’autres titres classiques, jeunesses et contemporains à découvrir sur www.kilema.fr. Il en reste des milliers à faire…

Nous avons aussi choisi de porter cette culture auprès des personnes présentant des troubles du neurodéveloppement, comme la trisomie, et de nous rapprocher des publics en implantant, au cœur des cités, des Tiers Lieux culturels et inclusifs. Le cœur de chaque Tiers Lieu est une librairie innovante, un espace de conseil et d’innovation.

Le travail est immense, mais avec le conseil d’administration et tous nos partenaires, nous sommes déterminés à réussir. Un livre traduit en FALC nécessite 8 mois de travail et 30 k€ d’investissement. Un Tiers Lieu, c’est 400 k€ d’investissement et 300 k€ de fonctionnement annuel. Comme tout cela est indispensable, nous allons le faire.

Le FALC, c’est quoi ?

Le FALC (Facile à Lire et à Comprendre) est une méthode de rédaction et d’adaptation des informations pour rendre les textes accessibles aux personnes ayant des difficultés de compréhension. À l’origine, le FALC était surtout utilisé pour simplifier des documents administratifs, juridiques ou de santé, dans une démarche inclusive. Le FALC a été normalisé en 2009 au niveau européen avec la norme ISO 21801-1.

Le FALC est aussi un processus qui implique la traduction d’un texte par un professionnel formé, puis une relecture par des personnes en situation de handicap. Cela permet non seulement de rendre la culture accessible, mais aussi d’offrir des emplois à des personnes en situation de handicap intellectuel, dans des tâches intellectuelles qui ne peuvent être remplacées.

KILEMA Éditions a ajouté un ensemble de règles spécifiques d’écriture, de traduction et de mise en page à la norme européenne pour pouvoir l’appliquer à la littérature.

Qu’est-ce qui est le plus innovant dans votre projet ?

Techniquement, l’édition en FALC pour la littérature existait avant KILEMA. Nous n’avons rien inventé. L’équipe éditoriale de KILEMA, composée de 5 professionnelles salariées et de Cécile bénévolement, a simplement adapté ce concept.

Cependant, nous avons entamé une démarche de recherche et d’innovation pour automatiser certains processus avec une société d’ingénierie internationale. Même si la France est en retard par rapport à la Suède et à l’Espagne, il nous faut créer un marché qui n’existe pas encore. Les librairies et bibliothèques n’accueillent que très peu nos livres, car elles n’ont pas aujourd’hui le public concerné. Nous devons donc créer ce marché en ciblant les accompagnants, les écoles, les associations et les lieux de vie.

Sur le plan organisationnel, nous avons dû innover dans un contexte juridique, réglementaire et fiscal complexe. Nous nous sommes fait accompagner par un cabinet spécialisé en philanthropie (cabinet DELSOL) pour structurer ce projet de collecte, distribution et opération.

Nous cherchons également à changer le regard de la société et à la faire évoluer, notamment en portant un plaidoyer innovant. Cela fait partie des missions du Fonds de dotation et de son conseil d’administration.

La création de Tiers Lieux hybrides représente également une forme d’innovation. Il nous faut trouver un modèle économique pérenne respectant toutes les contraintes réglementaires. Mon expérience de chef d’entreprise me montre qu’il est difficile de rentabiliser une activité concurrentielle. Nous devons donc trouver un modèle qui crée de la valeur pour l’ensemble de la société, au-delà du simple aspect comptable.

Cela nécessite la participation de tous les acteurs privés, publics et sociaux. C’est aussi ça l’innovation. Elle se trouve partout, y compris dans le Tiers Lieu parisien (Porte de Clichy, Paris 17), où nous souhaitons faire collaborer différents acteurs autour de l’innovation en communication, par exemple.

Selon vous, quelle place peut prendre la philanthropie familiale dans la société ?

Notre société française repose sur trois valeurs fondamentales : liberté, égalité, fraternité. La philanthropie familiale est étroitement liée à la fraternité. Elle doit être visible sur ce sujet, car elle peut permettre à des projets formidables d’éclore dans les territoires à travers toute la France.

Pour être acceptée et écoutée, elle doit, selon moi, respecter certains principes : la laïcité, l’apolitisme, la transparence, et ne pas se substituer aux fonctions de l’État.

Les fondations et Fonds de dotation familiaux donnent du sens à leurs réussites grâce à des actions philanthropiques, et la société a tout à gagner en favorisant leur action.
Pour que cela fonctionne mieux en France, il faut renforcer la confiance entre tous les acteurs. Je rêve d’un cadre réglementaire qui permettrait de créer des structures comme KILEMA sans multiplier par trois les risques juridiques, financiers et sociaux, comme c’est le cas actuellement avec la création de trois structures à but philanthropique. Sans compter que cela triple aussi les coûts.

Le regroupement des structures philanthropiques familiales, comme au sein d’Un Esprit de Famille, devrait permettre de multiplier les actions, plutôt que de les additionner.

Qu’est-ce que vous apporte le Cercle Handicap d’Un Esprit de Famille ?

Il y a un peu plus d’un an, j’ai été convaincu de rejoindre Un Esprit de Famille pour les échanges et les rencontres. C’est ce que j’y ai trouvé, mais bien plus encore. J’ai ressenti une volonté sincère d’agir, avec une grande liberté de parole dans un contexte très convivial, et c’est important.

Chaque fondation ou fonds de dotation a son histoire et ses compétences, voire une expertise unique. Les discussions sont toujours très enrichissantes, avec une volonté évidente de faire avancer une cause rapidement.

Le thème de l’inclusion et du handicap est très vaste et touche finalement tous les aspects de la vie en société. Je suis convaincu que la philanthropie familiale est encore en construction en France. Il faut avancer avec conviction et transparence, mais il faut avancer. Les projets ont besoin de cette philanthropie à toutes les étapes de leur vie : émergence, déploiement, essaimage, exploitation. Il n’y a pas de phase où la philanthropie familiale ne peut pas s’enrichir et soutenir les projets.

Aller au contenu principal