Elles sont difficiles à dénombrer : 64 000 femmes sont en grande précarité en France (chiffre de 2012) ; ce nombre a considérablemeent augmenté avec la crise du covid-19. Or, le 115 (Samu social) ne dispose que de 24 places par jour pour les femmes. 4 structures spécialisées dans l’accompagnement des femmes en grande précarité ont présenté aux membres d’Un Esprit de Famille leurs actions d’accueil, d’hébergement, de réinsertion sociale, médicale et professionnelle. Accompagnées, la vie de ces femmes peut changer.
Visoconférence animée par Crama Trouillot du Boÿs, fondatrice de la Maison des Marraines, administratrice d’Un Esprit de Famille
Fondation Lecordier : pas d'injonction à l'insertion, l'accès à l'autonomie est déjà un immense progrès
Agnès Lecordier, cofondatrice et présidente de la fondation Lecordier
Dédiée aux femmes seules en grande précarité, la fondation Lecordier a été créée en 2008 par mes deux sœurs et moi-même. Elle est abritée par l’Institut de France.
Cette population est très difficile à dénombrer. En 2012, 40 % des SDF étaient des femmes, soit 64 000 femmes sans abri en France. Les chiffres ont explosé avec le covid-19. Leur espérance est de vie est de 46 ans.
Quel a été leur parcours de vie ? Des jeunes femmes sortent de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) à 18 ans et se trouvent à la rue sans aucune ressource (30 % des SDF sont passés par l’ASE) ; des travailleuses précaires, des femmes âgées non déclarées en tant que conjoint travailleur, celles qui ont travaillé au noir, des femmes atteintes de maladies psychiatriques non soignées sont le public de la rue.
Les logements sociaux ne sont plus adaptés à l’évolution de la société française : 35 % des ménages français ne comprennent qu’une seule personne mais seulement 5 % des logements sociaux sont de petite taille, non destinés aux familles.
La fondation Lecordier ne finance pas de lieux mixtes, souvent sources de violences pour les femmes. Pour nous, il est important que les femmes soient hébergées et accompagnées par d’autres femmes. Nous ne finançons pas non plus de lieux avec des enfants. Souvent, on a retiré leurs à enfants à des femmes, ce qui peut créer de fortes tensions entre elles.
Notre mission n’inclut pas d’injonction à l’insertion : ces femmes sont épuisées. Il faut prendre le temps de l’accompagnement pour qu’elles s’apaisent et, ensuite, construisent leur projet d’insertion. L’accès à l’autonomie est déjà un immense progrès.
La fondation Lecordier a accompagné plus de 15 associations dans le développement de nouvelles actions depuis 2008, pour un montant de plus de 2 millions d’euros : hébergements, mises à l’abri d’urgence, repas, actions de santé et d’hygiène, de réinsertion. Nous sommes fidèles à nos associations partenaires. Nous préférons soutenir de petites structures qui mènent des actions de terrain ciblées. La Fondation mène également des actions de sensibilisation auprès des pouvoirs publics.
Agir pour la Santé des Femmes : la santé, porte d'entrée de l'accompagnement
Nadège Passereau, déléguée générale ADSF – Agir pour la santé des femmes
Créé en 2001, l’ADSF est spécialisé dans la santé et l’accès aux soins des femmes en grande précarité. Ces femmes de tous âges ont été victimes de violences, d’exploitation sexuelle, d’addictions ; elles ont des souffrances psychiques non traitées. Elles ont des problèmes nutritionnels, physiologiques mais ne savent pas où se soigner.
Notre démarche est d’aller vers elles avec un camion médicalisé. Notre équipe mobile comprend des sages-femmes, des psychologues. Nous intervenons dans les gares, le métro, le bois de Vincennes, dans les hébergements d’urgence, en Ile-de-France et à Lille. Nous faisons intervenir des femmes repères, issues du public visé : elles sont un maillon fort de l’accompagnement.
Ensuite, nous leur proposons un accueil, un abri et un accompagnement adaptés, à partir d’un diagnostic de santé global : bilan de vie, souffrances psychiques et physiques. Elles peuvent participer à des groupes de parole. Elles construisent leur projet, à leur rythme.
On cherche aujourd’hui à proposer de petits lieux d’accueil disséminés par rapport aux grands centres car ces femmes errent beaucoup. La mobilisation est forte depuis 2 ans pour ouvrir des centres d’accueil dédiés aux femmes mais les travailleurs sociaux ne sont pas formés à leurs spécificités. Quand elles arrivent dans nos structures, plus de 60 % d’entre elles demandent d’accéder à un médecin.
Entre 20 et 30 % des femmes suivies ont un bon niveau d’éducation : jeunes filles très diplômées qui ont vécu des violences, femmes migrantes… Dans le cas de violences, ce sont souvent les femmes qui perdent leur logement. De nombreuses jeunes filles étudiantes demandent de l’aide depuis le covid-19, qui a des répercussions dramatiques pour elles.
L’association salarie des professionnels médicaux, psychologues et travailleurs sociaux ; 70 bénévoles professionnels médicaux et psychologues interviennent également.
Claire Amitié : l'amour avant le social
Augustin de Montalivet, président de Claire Amitié France
Claire Amitié accueille, accompagne et forme des jeunes femmes en difficulté pour qu’elles deviennent actrices de leur vie et prennent leur place dans la société.
Depuis 1946, Claire Amitié gère en France des maisons qui hébergent des jeunes femmes en grande détresse et précarité. Elles y vivent comme dans une famille, accompagnées par des animatrices. L’association s’est ensuite développée à l’international : des foyers ont ouvert en Afrique francophone, au Cambodge et au Brésil.
Claire Amitié accueille environ 2 300 personnes par an, en France et à l’international. En France, Claire Amitié gère 500 places d’hébergement : les jeunes femmes, avec ou sans enfants, vivent dans des CHRS (Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale) ou des Centres maternels, avec les enfants les plus jeunes.
Isabelle Godet, directrice générale de Claire Amitié France
Nous avons en premier lieu la volonté de porter un regard bienveillant et personnalisé sur chaque femme pour l’aider à grandir, avec la certitude que sa vie peut changer. Chacune a en elle les capacités de son développement pour devenir libre et responsable. Notre approche essaie d’englober toutes les dimensions de la personne. Notre intention première est que l’amour précède le social.
Pour accompagner quelqu’un, il faut l’approcher, prendre le temps de le connaître au-delà d’un dossier qui nous est envoyé et acquérir la juste distanciation.
Nous essayons de nous situer en amont des grosses difficultés par un accompagnement social resserré pour que les jeunes femmes ne tombent pas dans la grande précarité. C’est pourquoi certains établissements sont dédiés à des jeunes de 18 à 25 ans, qui ne touchent pas le RSA. Nous avons aussi ouvert des services qui accueillent les 16 à 21 ans. Elles sont logées et apprennent à se prendre en charge : tenir un logement, cuisiner, travailler, se soigner, gérer les relations avec les autres… et nous aimons beaucoup faire la fête dans les établissements !
Une fois l’accompagnement terminé, la maison reste la famille des jeunes femmes qui ont été hébergées.
Pour les situations d’urgence, nous avons aussi ouvert des places hivernales pour des femmes avec enfants et des femmes isolées.
La Maison des Marraines pour des jeunes filles autonomes qui peuvent et veulent s'en sortir rapidement vers une formation ou un métier
Crama Trouillot du Boÿs, fondatrice et présidente du fonds de dotation Imapala Avenir, pour le projet La Maison des Marraines
La Maison des Marraines accueille depuis deux ans des jeunes femmes sans enfant, issues de l’ASE. A 18 ans, elles n’ont plus de dispositif d’accompagnement, sauf la Garantie Jeunes dans certains départements. La Maison des Marraines assure la continuité du parcours pour empêcher le passage à la rue. Nous hébergeons aussi des jeunes en très grande souffrance, victimes de violences, qui ne viennent pas de l’ASE.
La Maison des Marraines propose à ces jeunes de 18 à 25 ans un hébergement de 3 mois renouvelables, avec un accompagnement social et professionnel. La Maison des Marraines s’adresse donc à des jeunes autonomes qui peuvent et veulent s’en sortir rapidement vers une formation ou un métier.
5 Maisons des Marraines sont ouvertes depuis 2018, 3 en Ile-de-France et 2 dans les Hauts-de-France. Elles hébergent 75 personnes.
Notre partenaire l’AFPA (Agence nationale pour la Formation Professionnelle des Adultes) met à notre disposition des logements vacants. La jeune fille bénéficie de l’ensemble des services de l’AFPA : cantine, formation professionnelle, accompagnement social. Un accompagnement renforcé vers l’emploi ou la formation professionnelle est assuré soit par L’Ecole de la Deuxième Chance en Ile-de-France, soit par les missions locales dans les Hauts-de-France.
Nous proposons également l’accompagnement d’une marraine « hors les murs », extérieure au dispositif, qui va aider la jeune fille à créer du lien social. Pendant le confinement, les jeunes se sont retrouvées toutes seules dans leur chambre, sans lien social. Ce lien de la marraine leur a permis de tenir dans l’isolement.