Le premier dîner des membres d’UEDF lundi 1er juillet a rassemblé une soixantaine de fondateurs.
Invité : Monsieur Olivier Noblecourt délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté. Retrouvez des extraits de son allocution sur les politiques mises en oeuvre ainsi que quelques photos de l’événement.
Parler de la Lutte contre la pauvreté c’est interroger la totalité de notre modèle social, la capacité à organiser l’appartenance de tout un chacun à ce modèle social. Cela a à voir aussi avec le consentement à l’impôt (crispation dans la crise des gilets jaunes, beaucoup de souffrance….)
Le modèle social ne correspond plus aux conditions de vie dignes auxquelles nos concitoyens aspirent. Notre capacité commune à faire société étant ainsi questionnée.
C’est ça qui a sous tendu l’ambition que le Président de la République a porté quand il a rendu publique, le 13 septembre 2018, la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté que j’ai élaborée dans le cadre d’une concertation et dont j’ai la responsabilité aujourd’hui du pilotage. Tout l’enjeu c’est l’art de l’exécution et pour vous porteurs de structures philanthropiques c’est l’efficacité des actions que vous allez financer et que vous allez permettre. Et bien, je crois qu’on est aujourd’hui dans un temps où l’on a largement de quoi se rassembler. Vous l’avez très bien dit Madame La Présidente dans votre propos liminaire l’enjeu c’est de travailler à une société plus inclusive c’est pourquoi dans la stratégie de lutte contre la pauvreté nous avons décidé de faire deux grands pas de côtés
Modifier de manière très substantielle les objectifs des politiques sociales de ce pays et donc réinterroger notre modèle social globalement.
S’attaquer à la façon dont les politiques sont mises en œuvre aujourd’hui. On ne peut plus avoir des politiques sociales qui soient désarrimées des acteurs de territoires et penser en dehors des personnes concernées.
La lutte contre la pauvreté c’est 8,5 Mds d’euros de crédits, ça concerne tous les âges de la vie. On a travaillé sur 3 grands constats qui sont les 3 limites de notre modèle social actuel avec les grandes orientations qui en découlent.
Premier constat : nous avons des garanties collectives dans notre modèle social qu’on a construit et qui sont devenues inefficaces face à certaines formes de pauvreté.
On a un modèle social assez re-distributif, plus que d’autres modèles comparables, qui prévient plutôt bien les crises économiques. Par exemple depuis 2008 le nombre de chômeurs a augmenté beaucoup plus vite que le nombre de personnes en situation de pauvreté ; c’est donc qu’il y a un filet de sécurité qui a fonctionné.
Mais ces garanties là ne répondent pas aux problématiques des salariés pauvres, des familles monoparentales, à la progression et au durcissement de la pauvreté des enfants, à la pauvreté et l’isolement des personnes âgées.
Il faut revoir l’organisation des ces garanties collectives pour qu’elles puissent mieux fonctionner. Il y a des réformes systémiques qui sont en cours : réforme du système des retraites, fusion d’un certain nombre de prestations, de minima dont la complexité est attentatoire à la confiance dans le modèle social
Le Revenu Universel d’Activité va fusionner le RSA, la prime d’activité, les aides au logement et probablement l’ensemble des autres prestations qui concernent les différents âges de la vie les allocations minimum vieillesse, l’allocation adulte handicapé, l’allocation spécifique de solidarité
Le Revenu Universel d’Activité c’est un peu moins de 50 Mds d’euros de prestations et un quart de la population française concernée. La loi sera adoptée par le parlement en 2020 et la réforme mise en place à l’horizon 2022-23. Cela va permettre de simplifier l’accès au droit et d’investir le temps qu’on va gagner pour renforcer les politiques d’accompagnement.
Il y a aujourd’hui les droits à la santé qui font l’objet de réformes structurantes. Depuis le 1er avril le renouvellement CMU complémentaire est automatique pour les allocataires du RSA c’est une simplification majeure. A venir en novembre 2019 la fusion des aides à la complémentaire santé et CMU complémentaire. Ce sont environ 1,5 millions de ménages concernés par ces mesures.
Objectif quitter l’âge des droits pour entrer dans l’âge de l’émancipation. Il s’agit de s’attacher à ne pas donner seulement des droits et allocations certes indispensables à la survie de ceux en situation de pauvreté mais à répondre à leurs attentes. Les personnes souhaitent être en capacité de maitriser leur destin, de faire des choix, d’être respectées et prises en compte comme acteurs d’un parcours de vie avec notamment l’accès au marché du travail
Aujourd’hui notre système social dans une très large part déresponsabilise les personnes, les met en situation de passivité voir même de dépossession des choix qui gouvernent leur vie. Ainsi être en situation de pauvreté ce n’est plus seulement manquer de ressources, c’est aussi avoir le sentiment de ne plus maîtriser les choix qui structurent sa vie. Cela crée une sorte de citoyenneté minorée c’est ce qui justifie ce modèle social de l’émancipation que le Président de la République a appelé de ses vœux.
Deuxième constat : les politiques de prévention sont insuffisantes
« La prévention : cesser d’en parler en faire ».
Les dépenses de prévention sont incroyablement peu élevées par rapport aux besoins c’est d’autant plus grave que nous sommes dans le pays du déterminisme social ; prévalence du poids de la naissance dans le destin social. Dans le champ de l’éducation et de la réussite scolaire des individus c’est démontré par les enquêtes Pisa et les travaux de l’OCDE. De plus, beaucoup d’enfants ont la pauvreté en héritage ; en France c’est un sur 5 qui grandit en situation de pauvreté et il faudrait 6 générations pour qu’il atteigne le revenu médian.
Si on veut que les enfants pauvres d’aujourd’hui ne soient plus les adultes pauvres de demain alors il faut assumer de mettre d’avantage de moyens sur la prévention sur la politique éducative et commencer là ou c’est le plus efficace c’est à dire dès le plus jeune âge.
Le programme « Parler Bambin » que j’ai créé à Grenoble il y a plus de 10 ans est un bon exemple de la théorie de l’investissement social. Cela a été développé ultérieurement par Florent de Bodman avec « 1001 mots ».
Les travaux du Prix Nobel d’économie James Heckman ont démontré que tout euro investi dans les 3 premières années de la vie est bien plus efficace en termes de correction des inégalités que ceux investis plus tard. C’est du bon sens il s’agit de « frapper tôt pour frapper fort »
La politique de lutte contre la pauvreté porte en elle des changements majeurs notamment sur la politique familiale pour permettre aux enfants pauvres d’accéder aux différents modes d’accueil. Aujourd’hui les enfants qui tireraient le plus grand bénéfice de ces modes d’accueil (collectifs ou individuels) sont ceux qui y accèdent le moins : paradoxe insupportable.
Une étude scientifique (Etude dite Cohorte Elfe) qui porte sur 18 000 enfants démontre qu’à deux ans les écarts de compétence langagière liés à l’origine sociale sont énormes et le meilleur outil pour les corriger c’est l’accueil notamment en structures collectives. Or ces enfants en situation de pauvreté n’y ont pas accès car pour pouvoir demander une place en crèche, dans 70 % des communes, il faut que les deux parents travaillent. On est en train de changer ça avec l’association des maires de France et la branche famille de la sécurité sociale pour faire de la mixité sociale dans les modes d’accueil et pour changer la pratique des travailleurs sociaux, leur faire comprendre qu’il faut proposer un projet éducatif pour l’épanouissement de l’enfant et son développement cognitif (réduction des inégalités par les politiques éducatives).
Rendre effectif les droits essentiels des enfants :
Quelques chiffres : 300 000 sont en situation attentatoire à leurs droits et vivent dans un logement indigne ou surpeuplé ; 30 000 à l’hôtel depuis plus de 6 mois ; 5 000 à la rue dans des bidonvilles. C’est 1 enfant sur 7 dans les zones d’éducation prioritaire qui arrive le ventre vide …
Situations d’autant plus inacceptables qu’on peut apporter des réponses pour peu qu’on se retrousse les manches et avec une approche concrète des problèmes.
Ainsi les pouvoirs publics ont débloqué des crédits pour la sortie des bidonvilles, pour payer un petit déjeuner à 100 000 enfants et pour aider les communes à mettre en place une tarification sociale des cantines.
Le maintien en formation de notre jeunesse face au drame du décrochage scolaire. Ce sont les ni en emploi ni en étude ni en formation, aujourd’hui désignés par l’acronyme NEET — « Not in employment, in education or training » que certains appellent les invisibles car ils ne rentrent dans aucune case ; 60 000 sont mineurs !
Nous allons créer, avec la loi portée par JM Blanquer sur l’école de la confiance, une obligation de formation jusqu’à 18 ans pour contraindre les jeunes à rester dans un parcours de formation et faire entrer ça dans la « psyché « des nouvelles génération. Cela contraindra aussi les Pouvoirs Publics localement à se donner pour obligation d’accompagner tout jeune dans un parcours de formation.
Ce qui permet à notre droit de sortir de la logique du droit mou pour aller vers une effectivité du droit.
Troisième constat : les politiques d’accompagnement sont à développer, l’enjeu des politiques d’accompagnement des plus fragiles.
Un modèle social basé sur les prestations déresponsabilise la collectivité et les individus. Nous refusons ce modèle comme si les prestations sociales étaient la réponse à l’alpha et l’oméga des politiques sociales.
Nous pensons exactement l’inverse.
Il faut investir sur ce qui compte et en priorité l’accès au marché du travail. Notre modèle social doit rester arrimé à la valeur du travail, au sens du travail ; la dignité de chacun par le travail.
Aujourd’hui le défi c’est le redéploiement des politiques d’accompagnement pour les plus éloignés, ces politiques ont été désinvesties par les territoires contraints par les prestations sociales. Les montants ont été divisés par 3 en trente ans.
Un exemple, quand Rocard crée le RMI la Loi impose au département d’investir 20 % des dépenses de prestation aux politiques pour l’insertion aujourd’hui c’est moins de 7 % de la dépense des départements pour l’accompagnement dépenses soit 680 Millions d’euros contre 11Mds d’euros pour le RSA
Chaque individu a une responsabilité vis à vis de la société et réciproquement. Nous ne voulons pas l’individualisme, pas le chacun pour soi mais une société de responsabilité (référence au personnalisme d’Emmanuel Mounier). Nous souhaitons une société de droits et de devoirs.
Renforcement de toutes les politiques d’accompagnement à l’emploi accompagnement medio social, avec les associations Territoires zéro chômeur de longue durée, IAE insertion par l’activité économique (100 000 places supplémentaires) etc…
Capacité à ancrer dans la vie quotidienne des plus fragiles l’art de l’exécution
Mise en place de nouveaux outils sur les territoires : fonds de contractualisation Etat/Département l’objectif est de changer la relation entre l’état et les collectivités souvent très politique et juridique. `
L’Etat, avec les collectivités, définit des objectifs et mesure avec des indicateurs très précis l’atteinte de ces objectifs
L’Etat finance les résultats pas les moyens. L’Etat se désintéresse des moyens, ce sont aux collectivités de les choisir sur l’insertion, sur la sortie de l’aide sociale à l’enfance…
A ce jour, tous les départements sauf deux ont délibéré favorablement pour s’engager dans une nouvelle relation contractuelle.
Mode collaboratif de mise en œuvre des politiques sociales avec des conférences régionales : nous rassemblons dans un même cadre de travail les acteurs privés, les entreprises, les collectivités locales, les associations qui agissent dans le champ social de l’insertion sur le marché du travail, dans le domaine éducatif, de la santé …
Ce cadre vise à « dessiloter » les politiques publiques.
Création d’une plateforme numérique collaborative 600 acteurs mobilisés à l’échelle nationale 10 000 dans quelques mois. Tout est partagé (les bonnes pratiques, les expériences réussies, les initiatives régionales…) c’est inédit en matière sociale.
Mise en place d’un fonds d’investissement social doté de 100 Millions d’euros.
Destiné à la petite enfance, l’éducation, l’insertion, la lutte contre l’isolement. Soutien de projets sur les territoires déploiement essaimage de solutions qui fonctionnent en partenariat avec ceux qui financent déjà ce type d’initiatives. Le repérage des bonnes pratiques est essentiel c’est ce que vous faite grâce à votre capacité à sourcer les projets intéressants. Nous sommes preneurs de travailler avec vous, d’additionner nos moyens, nos compétences, nos expertises, nos ressources et d’être destinataire de vos recommandations en la matière. Identifier ce qui a été le plus efficient.
Engagement d’acteurs privés et d’entreprises à travers des dotations d’actions territoriales, à travers le plan 10 000 entreprises pour l’inclusion et l’insertion professionnelle ( piloté par JM Borello et Florence Poivey)
L’action Tank créée il y a quelques années avec Martin Hirsch, association qui vise à développer des modèles ni gain ni perte : des entreprises qui renoncent à leur bénéfice pour des produits de 1 ère nécessité ou service essentiel pour des personnes en situation de pauvreté. Par exemple sur le lait maternisé la marge représentait 50 € par mois pour une femme seule au RSA.
Soit on augmente le RSA soit l’industriel renonce à sa marge : c’est le pari fait avec programme « Manger Malin ».
Conclusion
Notre philosophie c’est l’hybridation, l’addition des compétences, des bonnes volontés c’est l’Esprit de famille. C’est cette volonté de constituer des communautés d’acteurs solidaires et engagés, engagés sur des valeurs communes.
Je me réfère à l’intitulé du premier rapport de M. Hirsch « Au possible nous sommes tenus ». Vous êtes déjà sur le front du possible le montagnard que je suis ne peut s’empêcher de rappeler ce soir que « la cordée avance grâce au premier mais au rythme des derniers ». Nous sommes tous tenus au possible mais en capacité de faire davantage et je sais que c’est votre volonté.