Repenser l’école en France : quelle place pour les fonds et fondations
dans l’école de demain ?

Plus de 100 000 décrocheurs scolaires par an, de mauvais résultats dans les tests comparatifs internationaux alors que le système scolaire français est l’un des plus coûteux au monde… Ces constats ont incité de nombreux fonds de dotation et fondations privés à agir en finançant des associations qui pallient les manquements de l’école ou des écoles innovantes hors contrat. Les membres d’Un Esprit de Famille se sont réunis le 15 février pour un bilan de leurs actions et réfléchir à en accroître l’impact. Bénédicte Gueugnier, directrice de la fondation Financière de l’Echiquier, animait le débat.

 

Les manquements de l’école : état des lieux
Par Laurent Dupuis, délégué général de la fondation Potentiels et Talents*
La situation se dégrade :

  • 20 % des élèves ont des lacunes importantes en sortant de l’école primaire,
  • plus de 100 000 décrocheurs par an,
  • 60 % des étudiants inscrits dans les universités n’arrivent pas au terme des trois années de licence,
  • le recrutement des professeurs est en difficulté et ils vivent beaucoup de souffrances sur le terrain.

Les « manquements » sont des conséquences de la logique industrielle de massification qui préside depuis plusieurs décennies au pilotage de l’Éducation nationale. La massification des effectifs est intervenue sans anticiper la gestion de la diversité sociale et culturelle qui l’accompagne.

S’attaquer aux causes structurelles des failles de l’éducation permettrait d’engager la « transition éducative ». Quels sont ses fondements ?

  • Adapter le système à l’élève et non le contraire, dans le respect des différences et non l’indifférence.
  • Chaque école est singulière sur son terroir ; elle est le fruit d’un équilibre instable entre les parties prenantes.
  • L’équité au lieu d’une égalité dogmatique : « L’égalité se réalise par la liberté… la véritable égalité surgira de la reconnaissance de la diversité des intelligences. » Jean-Michel Blanquer, Le Point du 8/10/15. L’équité, c’est donner à chacun ce dont il a besoin pour se hisser à la hauteur de ses potentiels.

Le défi est de faire évoluer l’école classique, c’est un enjeu de conduite du changement : d’une école de la réussite « pour tous » à une éducation favorisant l’accomplissement de chacun.

* La fondation Potentiels & Talents, abritée par la Fondation pour l’Ecole, œuvre pour l’épanouissement et le développement durable des potentiels de chacun, y compris des profils « atypiques », en situation de handicap et/ou de « haut potentiel ».

Des solutions en lien avec l’Education Nationale, soutenues par les membres d’Un Esprit de Famille 
Prévenir l'illettrisme : la fondation Scaler et l’association Coup de Pouce
Coup de Pouce vise à favoriser la réussite scolaire pour tous en luttant contre l’illettrisme. Coup de Pouce a accompagné 11 000 enfants dans 1300 écoles en 2015-16. Bénéficiaires : grande maternelle – CP – CE1

Bénédicte Boissonnas, fondation Scaler : « Nous soutenons Coup de Pouce car le monde change très vite et demain, il n‘y aura plus de métiers sans formation. Il faut apprendre à apprendre dès le primaire, c’est important. »

La force des liens de proximité : le fonds Un Pied devant l’Autre et l’association ADOS
ADOS (Association pour le Dialogue et l’Orientation Scolaire, Paris 75018) propose aux jeunes un accompagnement dans leur scolarité, ainsi qu’un cadre et des activités destinés à développer leur autonomie et susciter leur responsabilisation. Bénéficiaires : jeunes du quartier de la Goutte d’Or du CP au post bac.

Nathalie Goyet, fonds de dotation Un Pied devant l’Autre : « Créé par les habitants du quartier eux-mêmes, ADOS établit des liens entre les établissements scolaires et des familles qui ne se sentent pas légitimes pour accompagner leurs enfants, ne connaissant pas les codes scolaires. Nous soutenons des associations de proximité comme ADOS qui sont un facteur de paix et d’intégration sociale, elles font un travail formidable pour la réussite de jeunes. »

Responsabiliser les jeunes : APPOS et l’association Arpej 14
Arpej 14 (Paris) accompagne des jeunes dans leur scolarité et la mise en œuvre de leur projet professionnel ; l’association soutient les parents dans leur rôle d’éducateur et dans leur relation avec l’école. Bénéficiaires : du CE1 au Post Bac.

Benoît Mialaret, APPOS : « Arpej 14 accompagne une centaine de jeunes par an parmi les familles défavorisées du 14è arrondissement de Paris. L’association établit un contrat tripartite entre chaque jeune, ses parents et son accompagnateur bénévole d’Arpej. Les jeunes sont ainsi responsabilisés. Soutenir ce type d’association est dans les gènes de l’APPOS, qui s’occupe de handicap social. »

Se connaître soi-même pour s'orienter : Acteur de mon avenir propose aux jeunes des coachs professionnels
Jacques Vincent, fondateur d’Acteur de mon avenir : « 800 000 jeunes passent en troisième chaque année, dont 250 000 en professionnel. Pour bien s’orienter, il faut se connaître soi-même, connaître les métiers et les cursus. Nos coachs professionnels agissent sur le développement personnel, l’acquisition de la confiance en soi. Ils soutiennent chaque année 250 jeunes. »
Des jeunes oubliés des politiques publiques : La fondation Brageac et l'association Chemins d’avenirs
Isabelle Bouzoud, présidente de la fondation Brageac : « Chemins d’avenirs aide les jeunes de ″la France périphérique″ : des petites villes et campagnes souvent hors du champ des politiques publiques ; les habitants ont des difficultés de mobilité, d’accès à la culture et un sentiment d’abandon, d’où un risque pour la démocratie. Les jeunes de ces régions intériorisent une incapacité. Les collégiens et lycéens soutenus par Chemins d’avenirs sont sélectionnés sur leur motivation ; un parrain accompagne chacun pour définir son projet puis le suit pendant 18 mois. Un comité scientifique évalue le programme, dont l’ambition est de couvrir tout le territoire. »
Les écoles innovantes en France : état des lieux 
Par Laurent Dupuis, Délégué général de la fondation Potentiels et Talents
L’innovation existe partout dans l’enseignement :

Quelles innovations rassemblent les acteurs de la « transition éducative » ?

  • Des classes multiages et multiniveaux, des pédagogies et parcours personnalisés.
  • L’accent mis sur les « soft skills » : collaboration, entraide dans les activités scolaires et autres…
  • L’interdisciplinarité, le mode projet, le sens et les représentations des enfants au cœur des apprentissages (cartes heuristiques…)
    • Créativité,
    • expression artistique,
    • multilinguisme.
  • L’implication continue des parents.
  • L’équipe « d’enseignants chercheurs » au service d’une organisation apprenante.
  • L’apport d’un regard extérieur
    • par des réseaux de partenaires aidants,
    • par l’ouverture des écoles aux chercheurs.

La « transition éducative » est en marche. Les entreprises, les collectivités territoriales, les fonds et fondations peuvent jouer un rôle clé dans l’amorçage et le déploiement, tant au niveau des écoles prises isolément que des organisations les fédérant, à l’image de la FETE.

Des écoles innovantes soutenues par les membres d’Un Esprit de Famille 
0 % d’absentéisme en classe : le fonds La Valinière et le Cours Frédéric Ozanam à Marseille
Le Cours Frédéric Ozanam (Marseille), école « Espérance Banlieues » à petits effectifs par classe, s’adresse à des élèves en risque de décrochage scolaire dont les parents sont désireux de s’investir dans la réussite de leurs enfants. Bénéficiaires : du CP à la 3ème. 

Manuela d’Halloy, fonds de dotation La Valinière : « 30 % des élèves du Cours Frédéric Ozanam ont des retards scolaires très significatifs, 20 % ont des difficultés de comportement. Une classe compte 5 à 10 élèves, avec une pédagogie sur mesure pour chacun. L’apprentissage est permanent, soutenu par des intervenants externes et des activités périscolaires, en lien avec les parents. On note 0 % d’absentéisme chez les élèves, qui progressent considérablement. »

Des jeunes à haut potentiel en échec scolaire : le fonds Après Demain et l’association Arborescences
Arborescences est un réseau d’écoles qui se donne pour mission d’épanouir des enfants à haut potentiel, grâce à une pédagogie qui prend en compte leur particularité. Bénéficiaires : enfants de 5 à 12 ans.

Alexia Maury-Segard, déléguée générale du fonds Après Demain : « Les 2/3 des 15 000 enfants à haut potentiel, souvent associé à l’hyperactivité, sont en échec scolaire. Arborescences intervient en primaire, ensuite les enfants réintègrent le système conventionnel. Arborescences gère 3 écoles pilotes avec une pédagogie innovante, qui mise sur la coconstruction des savoirs avec les adultes. Le fonds Après Demain soutient les personnes en situation de solitude : les enfants à haut potentiel et leurs parents sont très isolés. »

Recherche et expérimentation pédagogique : la fondation Potentiels et Talents et la Lab School
La Lab School (Paris) est une école « adaptée au XXIè siècle », innovante, bilingue, solidaire, laïque, numérique et éco-responsable, qui vise la créativité et le plaisir d’apprendre des enfants. Bénéficiaires : du CE2 au CM2.

Brigitte de Compreignac, présidente de la fondation Potentiels & Talents : « La Lab School est construite sur 5 principes clés : le bien-être de tous (élèves, enseignants et parents) ; une pédagogie qui favorise la créativité, le sens et le désir d’apprendre ; la recherche : la pédagogie est sans cesse en questionnement ; la formation pour les enseignants let les parents ; l’ouverture sur le monde. »

Des clés pour repenser l’école en France 
  1. Faire vivre des réseaux d’écoles pour partager les expériences et diffuser les apprentissages.
  2. Dépasser les lignes de fracture et d’opposition entre écoles publiques, privées sous contrat et hors contrat : rassembler les forces vives qui montrent le chemin de l’innovation en favorisant la coopération des réseaux.
  3. Plusieurs niveaux d’action sont nécessaires pour faire bouger les lignes :
  •        les actions palliatives, pour agir là où il y a urgence, notamment dans les collèges et les lycées ;
  •        l’expérimentation, pour tester l’efficacité des innovations,
  •        l’évaluation pour influer sur les politiques publiques, faire évoluer les consciences et les fonctionnements.
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